La délicate sortie de l’épidémie et les leçons de l’Histoire

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Photo de Anna Shvets provenant de Pexels

Le deuxième semestre 2021 est attendu de pied ferme, car il est censé être celui de la reprise économique favorisée par l’engagement des plans de relance américains et européens. Il marquerait l’entrée dans une nouvelle ère de croissance. L’expérience issue des précédentes épidémies semble le confirmer : avec leur reflux, l’activité reprend ses droits avec néanmoins l’apparition d’importants et dangereux déséquilibres.

En 1832, la France fut frappée, comme le reste de l’Europe, par une épidémie qui provoqua, en plusieurs vagues, plus de 134 000 morts. Paris fut particulièrement touchée, perdant près de 3 % de sa population en un mois. Les hôpitaux furent rapidement débordés par des patients dont les médecins ne pouvaient pas expliquer les maux. Durant la première vague, de nombreux commerces durent fermer, les échanges se ralentirent. Au cours de la deuxième vague, face à l’hostilité de nombreux salariés et travailleurs indépendants, le gouvernement fut contraint d’alléger les mesures sanitaires. A partir de 1834, la fin de l’épidémie fut suivie par un essor économique qui permit à la France d’entrer de plain-pied dans la première révolution industrielle initiée par la Grande-Bretagne. Cette période d’enrichissement s’accompagna d’une montée des tensions politiques et sociales. le Roi Louis Philippe fit face à près de dix attentats entre 1832 et 1848 avant de devoir abdiquer lors de la révolution de 1848. Cette période agitée de l’histoire de France sert de trame au roman de Victor Hugo « Les Misérables » qui souligne la montée de la pauvreté et la dureté des relations sociales.

Une volonté de tourner la page

Après quatre ans de guerre et deux ans d’épidémie de grippe espagnole, responsables, de plus de 40 millions de morts, les États-Unis et l’Europe entrèrent dans les années folles. Le retour à la normale fut plus lent que ce que l’histoire a voulu retenir. L’épargne excédentaire aux États-Unis n’a été réduite que de 20 % lors des deux premières années de la décennie, les ménages ayant la crainte d’un retour de la guerre ou de l’épidémie. Malgré tout, entre 1920 et 1929, l’économie occidentale a crû en moyenne de 4,2 % par an. Des innovations comme la radio, le téléphone, l’automobile, l’avion et l’électricité commencent à se diffuser au sein des populations. La production industrielle française dépasse en 1929 de plus de 40 % celle de 1914. Celle des automobiles est multipliée par plus de quatre. Cette période de forte croissance s’accompagne d’un emballement du prix des actions. Entre août 1921 et septembre 1929, l’indice Dow Jones a été multiplié par six, pour atteindre son plus haut niveau le 3 septembre 1929. Cette décennie est celle de tous les excès avec notamment l’hyperinflation allemande, en partie provoquée par la question du remboursement de la dette de guerre. Le Royaume-Uni resta en retrait de la croissance en raison de sa volonté de conserver une monnaie forte. Les années folles débouchèrent sur le krach de 1929, la récession, la guerre des changes, le protectionnisme puis…. la Seconde Guerre mondiale. Que ce soit en 1833 ou en 1920, la volonté de tourner la page, d’oublier l’épidémie fut un sentiment amplement partagé.

Même si la covid-19 continue à se diffuser au sein de pays émergents ou en développement comme l’Inde, les pays occidentaux veulent croire au rebond post-pandémique. Les gouvernements lèvent les mesures sanitaires restrictives avec la montée en puissance des campagnes de vaccination qui réduisent les hospitalisations et les décès dus au virus. De nombreux prévisionnistes révisent à la hausse les taux de croissance et en premier celle des États-Unis qui pourrait dépasser 6 % cette année, soit au moins quatre points de pourcentage. Une accélération synchronisée de l’activité au sein de nombreux pays est un phénomène rare. Il faut remonter à la période des années 1950 pour retrouver une situation comparable. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis mirent en place un cadre de financement de reconstruction de l’Europe avec le plan Marshall qui avait également comme avantage de favoriser la reconversion de l’économie de guerre américaine. La reprise fut assez longue à se matérialiser avec le maintien des rationnements en Europe jusqu’en 1950 et l’apparition des menaces de guerre avec l’URSS. Les États-Unis connurent la récession en 1948 et 1949.

Période de changements

Toute épidémie, toute guerre provoque des effets de court et long terme. Dans un premier temps, les femmes et les hommes souhaitent retrouver la vie d’avant, dépenser, sortir. Au-delà de la soif de vie, les crises amènent les entreprises à innover et à changer les méthodes de travail. Il y a également une diffusion plus rapide du progrès, le conservatisme ayant été mis à mal par la nécessité de faire face. Après la Première Guerre mondiale, le taylorisme et le travail à la chaîne se sont développés. De même, après la Seconde Guerre mondiale, la couverture sociale des salariés s’est développée en parallèle avec « l’American way of life ». Après l’épidémie de peste noire, au XIVe siècle, les Européens, dont la moitié avait succombé, se sont mis à être plus aventureux, à monter des expéditions maritimes au long cours. L’épidémie a permis une concentration des capitaux, dont certains ont été affectés à de grands projets. La rareté relative de la main-d’œuvre facilita l’émergence de solutions techniques pour accélérer les travaux agricoles. La Renaissance qui concerne tout à la fois les arts, les techniques agricoles, l’industrie et la science de la guerre a été, ainsi, en partie, le produit de la peste noire. Celle-ci a contribué à l’essor de l’imprimerie. Le partage des connaissances s’effectuait avant tout de manière orale jusqu’à la Renaissance. La confection des livres était réalisée par des prêtres. Avec l’épidémie, leur nombre baissa ce qui laissa le champ libre aux imprimeurs.

Selon une étude publiée en 1948 par le National Bureau of Economic Research des États-Unis, la création d’entreprises a connu une forte progression à partir de 1919. La crise sanitaire de covid-19 que ce soit aux États-Unis ou en Europe donne également lieu à un renouveau entrepreneurial. Les épidémies accélèrent l’automatisation des processus de production. Les entreprises souhaitent limiter leur exposition aux maladies en substituant les machines aux hommes. Les robots ne contaminent pas leurs proches et ne tombent pas malades. Depuis le début de la crise sanitaire, ce sont les pays ayant le plus grand nombre de robots qui ont enregistré les reculs les plus faibles de leur PIB, l’Allemagne, les États d’Europe du Nord, le Japon ou encore la Corée du Sud. Les années 1920 ont également été une ère d’automatisation rapide en Amérique. Les industries de l’automobile et du téléphone qui employaient de nombreux salariés ont fait l’objet d’un processus de rationalisation.

Toutes les grandes épidémies comme les grandes guerres ont amené les ménages à épargner tant en raison de l’impossibilité de dépenser que par crainte de l’avenir. Dans la première moitié des années 1870, lors d’une épidémie de variole, le taux d’épargne des ménages de la Grande-Bretagne avait doublé. Cette épargne a été remise dans les circuits après 1875 avec à la clef une accélération de la croissance. Au Japon, le taux d’épargne avait plus que doublé pendant la première guerre mondiale. Aux États-Unis, durant l’épidémie de grippe espagnole, les ménages ont plus épargné en deux ans que pendant les vingt années qui suivirent. Leur taux d’épargne remonta entre 1941 après la déclaration de guerre des États-Unis et jusqu’à l’armistice du 8 mai 1945 pour atteindre 40 % du PIB. En 2020, le taux d’épargne a augmenté de manière importante dans tous les pays. En France, il est passé de 15 à plus de 20 % du revenu disponible brut.

Dans l’Histoire, les épidémies et les guerres ont provoqué des mouvements de hausse des salaires. Après avoir traversé des épreuves, les revendications salariales se multiplient. Le regard face aux travailleurs tend également à changer. Le débat en France sur la revalorisation de certains métiers en est la preuve. Aux États-Unis, le nouveau Président, Joe Biden, a annoncé une forte augmentation du salaire minimum. Que ce soit en, 1835, 1920, en 1945 ou en 2020, les populations sont, après un choc de grande ampleur, généralement plus sensibles aux questions d’inégalité qu’auparavant. Une étude du London School of Economics souligne qu’une majorité des Européens serait favorable à des mesures sociales. Le traitement de la crise sanitaire n’est en rien comparable à celui qui a prévalu après 1832 ou en 1920. Les États ont engagé des plans représentant de 5 à plus de 10 % du PIB. Il n’en demeure pas moins que l’opinion publique est en attente d’une protection sociale plus ample…

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