L’épargne, la consommation, la covid-19 et la transition énergétique : un monde schizophrène

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© Can Stock Photo / alphaspirit

C’est bien connu, il y a trop ou pas assez d’épargne, mais jamais suffisamment. Avec la crise du coronavirus, les ménages et les entreprises ont accru leur effort d’épargne, de manière contrainte lors du confinement puis par précaution dans un second temps. Cette augmentation de l’épargne est jugée pernicieuse, car elle affaiblirait durablement la demande intérieure. Constituée par crainte du chômage, des faillites et de la baisse des revenus, elle ne ferait qu’envenimer la situation.

Quatre mois après la fin des confinements, les ménages occidentaux ont repris le chemin de la consommation des biens qui a retrouvé son niveau d’avant crise ; en revanche celle liée aux services reste en retrait en lien avec les problèmes rencontrés par les activités touristiques et culturelles. Avec la réouverture des commerces, il n’y a pas eu de compensation des moindres dépenses réalisées durant le confinement. Les ménages ont conservé leur enveloppe d’épargne intacte voire ont continué à l’alimenter.

Avec la baisse des revenus générés par la crise, les ménages auraient pu puiser dans leur épargne ; or ce n’est pas le cas. La baisse des revenus en raison de l’intervention des Etats est relativement faible, limitant les besoins de trésorerie. Aux Etats-Unis, la crise a même provoqué une hausse des revenus des ménages les amenant à accroître leur effort d’épargne. Compte tenu du niveau élevé des incertitudes sanitaires, sociales, économiques et politiques, face à la prodigalité des pouvoirs publics, les ménages sont dubitatifs et, par voie de conséquence, prudents. Estimant qu’elle ne devrait pas être pérennisée, ils préfèrent mettre de l’argent de côté.

Fort taux d’épargne

Le taux d’épargne était en progression avant même la crise sanitaire. Plusieurs facteurs structurels expliquent cette évolution. Le vieillissement démographique est le premier d’entre eux. Les générations se rapprochant de l’âge de départ à la retraite ont tendance à épargner davantage. À terme, le vieillissement est censé amener une baisse du taux d’épargne, les retraités directement ou indirectement via les fonds de pension étant censés vendre du patrimoine pour maintenir leur niveau de vie. Pour le moment, le décaissement n’a pas commencé. En France, les retraités sont épargnants nets jusqu’à 75 ans. Le maintien d’un fort taux d’épargne chez les plus de 65 ans est à la fois la conséquence de l’amélioration de leur niveau de vie ces quarante dernières années et d’une volonté d’accroître le niveau de son patrimoine. Le vieillissement devrait se poursuivre jusque dans les années 2050.

La baisse des taux d’intérêt devrait jouer en défaveur de l’épargne en raison de la diminution de son rendement. Or, le phénomène inverse est constaté. Les ménages ont tendance à accroître leur effort d’épargne afin de compenser la moindre rentabilité de cette dernière. Par ailleurs, l’augmentation du prix de l’immobilier les contraint à épargner davantage pour constituer leurs apports et pour rembourser le capital des emprunts immobiliers (ce remboursement constitue la principale composante du taux d’épargne, 9 % du revenu disponible brut sur 15 % au total au mois de décembre 2019).

Précarité accrue des relations professionnelles

L’augmentation des dépenses publiques s’accompagne fréquemment d’une montée de l’épargne. Cette corrélation peut apparaître à première vue étonnante. En effet, les dépenses publiques — en particulier dans la sphère sociale — sont un facteur de réduction de risques sociaux et devraient inciter les ménages bénéficiaires à consommer. Or, ceux-ci, implicitement, anticipent des relèvements d’impôt et augmentent ou estiment que les aides sociales cesseront à plus ou moins court terme. Sur ce point, après la crise des Gilets jaunes en 2019, le Gouvernement d’Edouard Philippe avait mis en œuvre un plan de soutien de 17 milliards d’euros ciblé sur les ménages à revenus modestes ou moyens qui indiquaient n’avoir pas les moyens pour acheter des biens de première nécessité. Ces 17 milliards d’euros ne se sont nullement retrouvés dans les chiffres de la consommation ; en revanche, ils ont contribué à la l’augmentation de la collecte du Livret A.

La précarité accrue des relations professionnelles avec la montée du travail à temps partiel, des contrats à durée déterminée et de l’auto-entrepreneuriat conduit les ménages à épargner des montants supérieurs. La succession de crises depuis une vingtaine d’années accentue cette tendance. En France, le chômage sur longue période est proche de 10 % depuis une vingtaine d’années.

La défiance dans l’avenir constitue un moteur important de l’épargne de précaution. Un climat anxiogène est évidemment défavorable à la consommation et à l’épargne de long terme. Les ménages doivent actuellement faire face à une crise sanitaire, économique et environnementale. D’un côté, ils sont supposés consommer plus pour relancer l’économie, de l’autre, ils sont appelés à limiter leur empreinte carbone en consommant moins, et tout cela dans un contexte d’incertitude total.

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