Innovation : les leçons de la crise (3/3)

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© Rakicevic Nenad – Pexels

Dernier temps de notre entretien avec Arnaud Groff, spécialiste des questions liées à l’innovation. Pour lui, le processus d’innovation doit avant tout être pensé comme un chemin, sans être focalisé sur le résultat.

Quelles conclusions tirez-vous de vos réflexions sur le processus d’innovation ?

Cela signifie que l’innovation doit être pensée comme une démarche inclusive de l’ensemble des salariés et non pas uniquement centrée sur les « leaders » d’innovation. L’innovation doit être pensée pour « rayonner » sur toute l’entreprise et agir aussi sur les mentalités et la culture de l’entreprise en commençant par des gains en agilité par exemple. En effet, 45 % des groupes sont sensibilisés à l’agilité dans cette étude. À titre d’illustration, deux personnes de services différents n’ayant aucune raison dans leur quotidien de prendre l’initiative de collaborer auront l’opportunité d’apprendre à se connaître sous le prétexte de travailler sur une démarche d’innovation. Même si le projet d’innovation n’aboutit pas, alors l’entreprise aura quand même gagné quelque chose : une nouvelle « connexion » dans l’écosystème qui servira tous les jours pour tout autre chose. Dès 2000, Simon précisait que « l’innovation était effectuable ». Un des grands principes de l’effectuation reste d’accepter que le chemin se dessine en avançant et que ce chemin soit tout aussi important que l’objectif à atteindre. Dès lors, lorsque l’on pense l’innovation comme à la fois un résultat à obtenir, mais aussi un chemin qui nous transforme, cela change beaucoup de choses. Même si vous n’atteignez pas le résultat, vous pourrez intégrer dans le calcul de votre ROI d’autres dimensions impactant positivement la performance globale de l’entreprise. Cette approche est d’autant plus intéressante que l’entreprise gagne d’une manière globale en agilité, sans pour autant « détruire » son organisation parfois « mécaniste » et nécessaire pour maîtriser les activités d’exploitation de l’entreprise. Les silos sont préservés et l’agilité entre eux est portée par les salariés, la véritable richesse de l’entreprise.

L’innovation doit donc aussi être pensée comme une expérience qui transforme les femmes et les hommes de l’entreprise et des partenaires de l’entreprise…

L’innovation doit être pensée comme un ensemble de « chemins » à parcourir par l’ensemble des salariés, clients, fournisseurs en fonctions de leurs compétences, envies, talents, etc. C’est très important, car cela explique en partie les limites de toutes les solutions organisationnelles et managériales actuelles visant à développer la culture de l’innovation dans les entreprises. À ce jour, ces dispositifs n’arrêtent pas de « tirer » et de « doper » leurs activités d’innovation par des phases événementielles de types concours, challenges, hackathons sans s’appuyer sur un dispositif qui assure que le plus grand nombre sera impliqué et que ces pratiques mises en œuvre pendant les évènements « innovation » s’ancreront dans les pratiques du quotidien, y compris dans les activités « non innovantes ». L’enjeu pour les entreprises est donc de trouver la solution qui permettra aux salariés de suivre un parcours spécifique dans le processus d’innovation, en fonction de leurs motivations, de leurs talents et de leur capacité d’engagement. L’innovation doit être pensée comme une aventure qui transforme l’individu dans ses compétences, ses connaissances, son rapport à l’autre et son sentiment d’appartenance au groupe social « entreprise ».

En quoi ce que nous venons de vivre bouleverse notre culture du management de l’innovation ?

La crise du COVID-19 a définitivement démontré que la raison d’être de l’entreprise et de l’innovation était aussi de prendre soin de soi. L’innovation n’est pas uniquement destinée à produire mieux et répondre mieux au marché. Elle doit aussi servir aux femmes et aux hommes qui composent l’entreprise tout en renforçant sa résilience et sa capacité d’adaptation. Tel le premier choc. Ensuite on est obligé d’accepter ce que Simon précisait dès 2000 : l’innovation est un chemin effectual. En ce sens, le management de l’innovation n’est pas de prédire ce qui n’est pas écrit, mais créer les conditions de l’émergence de l’innovation en proposant des cheminements agiles, en favorisant les rencontres, en favorisant la transformation des gens et l’expression de leurs talents. Enfin, le management de l’innovation est challengé, car il doit faire en sorte que chacun se sente concerné et impliqué. Le management de l’innovation ne serait plus une affaire d’experts, mais de managers augmentés. Des managers qui régulent, qui facilitent, qui coordonnent… Leur mission concerne le développement de l’intelligence collective au service de la capacité d’adaptation de l’entreprise. Mais impossible de mettre un manager de l’innovation derrière chaque salarié !

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Arnaud Groff

Quels enseignements pour demain ?

Je pense qu’aucun dirigeant n’imagine investir dans un dispositif qu’il ne peut ni mesurer ni manager. Je pense qu’il faut disrupter le management de l’innovation pour passer à un management du potentiel d’innovation et de l’intelligence collective. Ce nouveau management doit avoir pour objectif d’être au service de tous les métiers de l’entreprise pour qu’au quotidien tous soient autonomes dans leurs pratiques. C’est la logique d’apprendre à pécher plutôt que donner du poisson. L’objectif est de développer la capacité d’adaptation individuelle et collective. Ces solutions physiques (fablab, tiers lieux) ou digitales (plateformes) doivent proposer de vivre l’entreprise autrement, en plus de nos missions opérationnelles. Quelle que soit votre solution, elle doit avoir comme objectif le développement d’une culture autour de 6 points clé parfaitement définis par le groupe Thales : responsabiliser plutôt que contrôler, des données plutôt que des opinions, tester et apprendre plutôt que planifier, collaborer plutôt que protéger, utilisateur plutôt que client, échouer plutôt que de ne rien tenter.

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