Le management chez Netflix (3) : faire rimer liberté avec responsabilité

Pour s’affranchir de toutes les règles de l’entreprise — ces règles qui entravent la liberté des salariés et ralentissent l’entreprise —, Reed Hastings, cofondateur de Netflix propose le management « par le contexte ». Mais de quoi s’agit-il au juste ?

Une mesure forte instaurée par Reed Hastings chez Netflix : congés illimités ! Chacun est encouragé à partir en vacances en vertu du constat qu’il faut être reposé pour être productif et que la créativité s’obtient aussi et surtout quand on a l’esprit dégagé des contingences du travail quotidien. Chacun peut prendre le nombre de jours qu’il souhaite et n’est pas tenu de demander l’autorisation à son supérieur hiérarchique.

Dans certains pays, cette disposition est un profond bouleversement culturel. Au Japon par exemple, où il n’est pas rare de mourir sur le lieu de son travail, où les salariés travaillent le week-end et prennent peu, voire pas de vacances, l’incitation à prendre des vacances illimitées a profondément changé les mentalités des salariés. Reed Hastings remarque que de nombreux salariés sont réticents à prendre des congés de façon aussi libre. Certains affirment avoir trop de travail à abattre et se sentent dans l’impossibilité de faire un break. D’autres n’osent tout simplement pas, attentifs à ce que les autres salariés et leur hiérarchie penseront d’eux. Pour vaincre cet attentisme, Hastings compte sur l’exemplarité des dirigeants et managers. Ces derniers sont encouragés à prendre des congés illimités. Sans cela, les autres salariés seront sur la réserve. Hastings lui-même avoue prendre six semaines de congés chaque année.

L’intérêt de l’entreprise avant tout

Mais alors, comment éviter les abus ? C’est là qu’intervient la notion de management par le contexte. Chacun peut poser ses vacances comme il le souhaite sans validation, mais pas sans concertation au sein du service. Il faut évidemment essayer de ne pas mettre en difficulté les membres de l’équipe et l’organisation du service.

Pas de règles gravées dans le marbre, mais l’entreprise compte sur le discernement de chacun. On tient compte du contexte, qui guide la bonne attitude à avoir.

Ce management par le contexte trouve aussi sa pertinence dans la gestion des notes de frais ou d’engagement de dépenses. Là aussi, absence de règles. Pas de prix plafond sur les nuits d’hôtel, les restaurants, l’avion… Pas de validation d’un supérieur pour engager un achat à un million de dollars. Différentes règles avaient été mises en place avant d’en arriver là. La frugalité d’abord… Mais parfois il est nécessaire à certaines occasions d’aller un peu plus loin que l’ordinaire pour satisfaire un client et au final atteindre les objectifs de l’entreprise.

Et puis il y a eu la règle qui invitait à se comporter avec l’argent de l’entreprise comme avec son argent personnel. Mais chacun entretient vis-à-vis de son argent personnel une relation particulière. Il y a les cigales et les fourmis. Dans leur relation à l’argent, si les cigales calquent leur comportement professionnel sur leur comportement personnel, cela va poser problème. Hastings relate une anecdote : un haut dirigeant de la société prend un jour l’avion en classe éco et s’étonne de croiser à cette occasion des salariés de la société en business class. Moment de gêne…

Feu vert… mais gare au carton rouge

C’est alors que le management par le contexte s’impose. Il s’agit pour tous les collaborateurs de se poser une question simple : est-ce qu’en engageant une dépense, vous vous sentiriez à l’aise pour la justifier auprès d’un autre salarié ? Si la réponse est positive, alors pas de problème : foncez ! Si la réponse est négative, alors renoncez. Ce qui doit guider le choix, c’est l’intérêt de la société.

« La confiance n’exclut pas le contrôle », disait Lénine, en spécialiste. N’est-il pas un peu suicidaire de faire autant confiance ? Hastings convient que l’absence de règle dans l’engagement des dépenses augmente ces dernières à hauteur de 10 % environ. Mais cette hausse est rapidement compensée par la rapidité du processus de décision et l’allègement des services administratifs. Avec la liberté d’engager les dépenses, les salariés prennent des décisions plus rapides lorsqu’il s’agit d’aider l’entreprise. Chez Netflix, l’absence de règles a pour but de réduire au minimum les services dits « support ». On se concentre sur ce qui est productif et innovant, pas sur le contrôle.

Oui, mais revenons à la question initiale qu’il ne faut pas esquiver : quid des abus, qui nécessairement se produisent ? Chaque année, un audit est réalisé sur une partie des dépenses de l’année. Si une anomalie est détectée, le salarié concerné doit en répondre. Si sa réponse n’est pas convaincante, c’est un licenciement immédiat et automatique. Puis ce licenciement est érigé en étude de cas dans l’entreprise. On en parle (sans donner le nom de l’intéressé) pour que le cadre soit rappelé et la ligne rouge identifiée par tous. Chacun est donc libre, mais surtout responsable. C’est un leitmotiv chez Netflix : liberté et responsabilité ! Chacun fait comme il l’entend, dans l’intérêt de l’entreprise. Chacun est amené à contextualiser ses décisions : « si j’ai osé engager telle dépense, c’est parce que… » Et il s’agit d’être convaincant, car la sanction sera imparable, quelle que soit par ailleurs la qualité du salarié en question.


Crédit Photo : John-Mark Smith – Pexels

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