Cinq tendances lourdes pour le travail de demain

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© Can Stock Photo / kovaleff

Comment travaillerons-nous demain ? Selon le consultant Martin Richer (Futuribles n° 422, janvier-février 2018), cela dépendra de cinq tendances lourdes qui s’opposent en partie, ce qui justement nous ouvre des possibilités d’action pour « construire un travail désirable ».

1 — La première tendance est une « extrême fragmentation du travail »dont les « effets délétères » étaient déjà dénoncés par Georges Friedmann il y a près de 70 ans : fatigue, troubles psychologiques, ajoutons, perte de sens du travail. Depuis quarante ans, la majorité des grands groupes ont profité du numérique pour se recentrer sur l’amont et la distribution, morcelant le reste de la chaîne de valeur entre sous-traitants de différents niveaux. C’est l’entreprise éclatée, illustrée par le rêve de « l’entreprise sans usines » qui a détruit des millions d’emplois industriels en France ;

2 — La deuxième tendance est l’automatisation, avec un fort retour au taylorisme, notamment en France, où « l’autonomie au travail se réduit pour toutes les catégories socio-professionnelles, y compris les ingénieurs et les cadres », facteur « à la fois de tension au travail et de sous-compétitivité » pour notre pays. L’automatisation n’exclue pas nécessairement l’homme des tâches où on a besoin de créativité et d’empathie note Martin Richer. Pourtant « l’asservissement à la technologie est plus criant encore que dans les temps modernes de Chaplin (1936) », comme le montre l’exploitation de la reconnaissance vocale dans les entrepôts d’Amazon, mais aussi en France.

3 — La « plateformisation » est la troisième tendance lourde, gestion du travail fragmenté et automatisé « par un système informatique qui organise la rencontre entre une multitude de vendeurs de travail et une seconde multitude d’acheteurs. » D’où la multiplication de microboulots réalisés via un smartphone) dans une économie de petits boulots à la demande, initiés par l’Amazon Turc, mondialisant le marché du travail et concernant aussi, de plus en plus, des travaux intellectuels très qualifiés. D’où une accentuation des contraintes, dans un contexte où déjà, noteMartin Richer, 60 % de la population active mondiale travaille sans contrat.

Cependant « la victoire de ce taylorisme revisité n’est pas consommée ». En effet, la partie du travail créatrice de valeur est devenue immatérielle, elle ne se mesure plus en heures, et, conclut Martin Richer, « mobilise tellement notre intellect et notre émotivité qu’elle devient indissociable de notre personnalité. »

4 — La quatrième tendance lourde va dans ce sens et contrecarre la dérive taylorienne. C’est la revendication de la valeur individu, tendance constante depuis plusieurs décennies. Cette tendance peut affaiblir les solidarités, mais aussi les renforcer.

5 — La cinquième tendance est l’insubordination, conséquence de la contradiction entre un taylorisme exploitant le numérique pour espionner et contrôler, et la montée de la revendication des personnes pour « un nouvel idéal du travail désaliéné ». Cette dernière aspiration pousse vers la multiplication d’activités professionnelles simultanées ou successives au cours des vies, et l’aspiration à « une nouvelle démocratie du travail », « un travail dégagé des liens de subordination ».

Ajoutons deux remarques. Face au capitalisme sacrifiant l’homme, il a toujours existé un capitalisme soucieux d’une « performance globale » respectant les aspirations de toutes les parties prenantes et l’environnement. Deuxièmement, le point majeur est le temps. Le court-termisme progresse, créant des inégalités croissantes de plus en plus insupportables, mais s’autodétruire. Des entreprises de long terme, plus rentables dans la durée qui finiront probablement par gagner.

Nous pouvons aussi exploiter les effets réseaux, le numérique, l’intelligence artificielle au service de nos valeurs. Nous devons renforcer un Etat de droit arbitre défenseur des libertés, par une « réinvention de la politique » décrite avec éloquence par Patrick Viveret.

Passons du « paradigme d’une puissance dominatrice à celui d’une puissance créatrice ».

André-Yves Portnoff

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