Comment s’appuyer sur les neurosciences pour bien manager ?

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Crédits : Pexels – meo

Grâce aux progrès de l’imagerie médicale, les neurosciences connaissent depuis quelques années un développement fulgurant. Nous savons ainsi de mieux en mieux comment fonctionne notre cerveau. Un savoir des plus utile à l’ère de l’économie de la connaissance. Erwan Devèze, auteur* et dirigeant du cabinet de conseil et de formation Neuroperformance consulting, explique comment les managers et dirigeants peuvent s’appuyer sur les neurosciences pour prendre les meilleures décisions, booster la performance de leurs équipes et stimuler la créativité.

Comprendre comment fonctionne le cerveau : en quoi cela peut-être utile pour un dirigeant ?

Erwan Devèze. Un dirigeant décide, crée et motive ses équipes. Les neurosciences apportent des éclairages sur les mécanismes à l’œuvre dans le cerveau lors de chacune de ces actions. Un savoir qui dans notre monde économique actuel est loin d’être superflu. Sous l’effet des progrès technologiques et de la mondialisation, le monde est devenu très complexe, concurrentiel et changeant. Pour qu’une entreprise soit compétitive, son dirigeant doit décider vite, innover et créer les conditions permettant à tous ses employés de s’adapter aux multiples transitions, susciter leur engagement. Les cerveaux sont la matière première de notre économie. Méconnaître son fonctionnement c’est prendre le risque d’échouer.

Prenons l’exemple d’un manager à la tête d’une nouvelle équipe de seniors ayant pris l’habitude de travailler chacun dans leur coin (en silos). Comment en se servant des éclairages des neurosciences, il peut amener ces seniors à travailler en mode projet ?  

Erwan Devèze. L’être humain n’est pas fait naturellement pour le changement. Le cerveau aime la routine. Quand nous apprenons une méthode de travail par exemple, nous créons des circuits neuronaux. Ces derniers se consolident avec la pratique. En travaillant pendant trente ans de la même manière, les seniors que vous citez en exemple ont consolidé à l’extrême ces circuits. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il leur est impossible de changer. Car notre cerveau a cette capacité à créer de nouveaux circuits (la « plasticité cérébrale). Mais il faut créer les bonnes conditions.

La première erreur des managers est d’imposer de manière abrupte un changement. Or, c’est la meilleure manière de désengager une équipe. Car une décision imposée est vécue par le cerveau comme une intrusion. Dès lors, il est dans la simple réaction : l’activité du lobe frontal, partie rationnelle de l’esprit régissant notamment la prise de décision et l’action, est minimale. Pour éviter cela, le manager a intérêt à construire avec son équipe les nouvelles méthodes de travail. Il réunit les membres de son équipe, pose en quelques phrases le cadre (le projet, les objectifs) et leur laisse la parole. Il se met en position d’écoute.

Il doit également et très rapidement donner du sens : montrer comment cette méthode de travail plus collective est utile pour eux, pour l’équipe, pour l’entreprise. Toute information est d’abord intégrée par le cerveau limbique, en charge des émotions. Elle est transmise à l’amygdale qui décide si elle représente ou non une menace. S’il y a menace, elle ordonne la production de cortisol (l’hormone du stress). Le sens permet de rassurer le cerveau et désactiver le circuit de la menace.

Photo E Deveze
Erwan Devèze

Cela posé, il faut rapidement passer à l’action. Nous apprenons en pratiquant. Il ne faut pas commencer par le plus ardu, mais par les microprojets ayant le plus de chances de réussite. Dans une équipe, grosso modo, il y a 15 % de partisans d’un projet, 15 % d’opposants et une grande majorité attendant de voir avant de se prononcer. Si le premier microprojet connaît un succès, alors cette majorité se ralliera au projet et ne reviendra pas en arrière. Une fois une impression ancrée, le cerveau n’aimant pas avoir tord, il est difficile de la changer. Enfin, il est important de célébrer chaque victoire. Quand nous réussissons, plusieurs hormones sont produites dans notre cerveau : la dopamine (hormone nous poussant à agir), de sérotonine (hormone de régulation des humeurs) et d’endorphine (hormone du bonheur). En célébrant les succès, le manager donne aux salariés l’énergie et la motivation nécessaires pour relever le prochain défi.

Comment un dirigeant peut s’appuyer sur les connaissances des neurosciences pour prendre les bonnes décisions ?

Erwan Devèze. Nous ne sommes pas des êtres rationnels.Toute information est d’abord traitée par nos émotions qui parfois peuvent nous duper. Cela s’appelle les biais cognitifs.

Si lors d’un entretien, un candidat par un parfum, une attitude nous rappelle une ancienne connaissance ayant laissé un piteux souvenir, nous aurons tendance, sans en avoir conscience, à vouloir qu’il échoue. Pour prendre de bonnes décisions, il faut connaître ces biais, croiser les avis et ne pas négliger sa chronobiologie. A 18 heures, le cerveau est épuisé par la journée, ce n’est pas le meilleur moment pour prendre une décision importante. Mieux vaut le faire le matin, quand le cerveau est régénéré par la nuit, frais et disponible.

Comment stimuler sa créativité ?

Erwan Devèze. La créativité se travaille. Elle est le résultat d’un processus de va-et-vient entre le conscient et l’inconscient. Quand nous dormons, faisons du sport, notre cerveau travaille énormément, il crée de nombreuses connexions aléatoires. Toute cette matière malaxée de manière inconsciente va se matérialiser de manière consciente. C’est la fameuse bonne idée qui vient sous la douche le matin, après une nuit de sommeil. C’est très fragile et provisoire. Il faut la noter immédiatement avant de l’oublier. Comme nous ne fonctionnons pas tous de la même manière, il faut apprendre à se connaître, tester. Personnellement, j’ai appris qu’après ma 10e longueur à la piscine, viennent mes meilleures idées. C’est ce qui marche pour moi.

En s’appuyant sur les neurosciences, un dirigeant peut-il rendre son entreprise plus performante ?

Erwan Devèze. On a toujours eu tendance à opposer épanouissement et performance. D’un point de vue neuronal c’est inexact. Plus on est épanoui, plus on est performant.


Erwan Devèze est l’auteur de Neuro-boostez vos équipes ! Tirez profit des neurosciences au travail » Ed. EMS 2017, de 24 heures dans votre cerveau Ed. Larousse 2018, et Le Pouvoir rend-t-il fou ? Enquête au cœur du cerveau de nos dirigeants, Ed. Larousse 2020.

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