Hayek : « il a été donné aux hommes un sens tout nouveau de leur pouvoir sur leur propre destin »

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Friedrich August von Hayek

Un nouveau volume vient de paraître dans la collection Le bien commun. Il est consacré à un auteur, économiste et philosophe : Friedrich Hayek. Cette collection livre, en de brefs volumes de 125 pages, l’essentiel de ce qu’il faut savoir de la pensée de nombre de grands auteurs de la philosophie politique.  Avec une large ouverture sur des penseurs étrangers, ce qui n’est pas si fréquent. On y trouve en effet tant John Rawls qu’Amartya Sen, Patocka que Kolakowski, ou encore Michael Walzer et Christopher Lasch.

Or vient de paraître, au Bien commun donc, un résumé très recommandable de la pensée de Friedrich Hayek, dû à un spécialiste de ce qu’on appelle « l’école autrichienne » Thierry Aimar. Comme Adam Smith, Hayek commence sa carrière intellectuelle par un livre consacré à l’esprit humain.

Mais commençons par un détour. Un détour par Adam Smith. Celui-ci doit sa gloire à son livre de 1776, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Mais l’économie était alors encore loin d’être constituée en discipline universitaire. Les matières qu’Adam Smith a enseignées, dans sa jeunesse, à l’université de Glasgow, ont été successivement la logique et la philosophie morale. Et l’ouvrage de sa plume qu’il considérait comme le plus important, c’était sa Théorie des sentiments moraux, publiée en 1759.

Il est frappant que son lointain successeur, Friedrich Hayek, penseur libéral global, comme Adam Smith, ait réellement entamé sa carrière d’économiste par un livre de psychologie : L’ordre sensoriel, publié en 1952. C’est comme si ces deux grands économistes avaient éprouvé le besoin de comprendre le fonctionnement de l’esprit humain, avant de pouvoir développer leurs hypothèses concernant les mécanismes de l’échange. 

Mais Adam Smith explore ce qu’il appelle « l’homme intérieur », capable, selon lui, de juger impartialement la valeur morale de ses propres actes et de s’identifier aux autres au point de partager en partie leurs sentiments. Friedrich Hayek, lui, met en évidence tout ce que le sujet ignore de lui-même, ce qu’il appelle « la carte pré-sensorielle ». Une bonne part de nos processus mentaux demeurent inconscients. Les neurosciences l’ont depuis confirmé. Hayek nous invite à prendre conscience de nos propres limites à cet égard. 

Aucune institution, dans les sociétés modernes, ne saurait intégrer l’ensemble des préférences des acteurs. Encore moins en décider à leur place

Et ses positions dans le domaine de l’économie politique sont inspirées par la même prudence. Si nous ne pouvons appréhender qu’une partie émergée des motifs qui nous déterminent à agir, comment une quelconque autorité pourrait-elle prétende connaître les buts poursuivis par tous les individus composant une société, afin de les harmoniser entre eux ? Il y a là une « présomption fatale », pour reprendre le titre d’un de ses livres.

La grande idée de Friedrich Hayek, c’est qu’aucun cerveau humain ni aucune institution ne sont capables d’intégrer la totalité des besoins, des préférences et des désirs des individus composant des ensembles sociaux aussi complexes que nos nations modernes. D’autant que, dans ces sociétés, comme l’écrit Hayek « il a été donné aux hommes un sens tout nouveau de leur pouvoir sur leur propre destin. » La société libérale est, en effet, fondée sur la possibilité donnée aux individus d’échapper à des systèmes « rigidement hiérarchiques » où la place dans la société, le rang, étaient définis a priori ; où des « liens traditionnels et obligatoires entravaient l’activité quotidienne ». Ce qui était le cas de la société d’Ancien Régime.

Les énergies ont été libérées. Dans ces conditions, prétendre organiser la production et la distribution des biens de manière rationnelle et centralisée, comme en rêvent les socialistes depuis Auguste Comte, est une dangereuse illusion. Pour citer Thierry Aimar, il est impossible de « réguler par le haut une société multiple, composée d’individus subjectifs. » Pire : « une société dirigée, c’est une société limitée aux valeurs et aux capacités cognitives de ceux qui la dirigent. Le résultat est une perte d’efficacité d’ensemble. » (47) L’ennemi numéro un de Hayek, c’est ce qu’il appelle « le constructivisme ». Et il le voit pleinement à l’œuvre tant du côté du fascisme que du communisme. Mais nos sociétés soi-disant libérales y sont également engagées. 

L’ordre spontané du marché, une force anonyme et impersonnelle

Pour lui, le « meilleur ajustement possible » entre les activités économiques est obtenu par la concurrence entre les acteurs, et non par les décisions souveraines d’une autorité surplombante. Mais attention ! Pour fonctionner, la concurrence doit s’appuyer sur des institutions organisatrices : la monnaie, les marchés… Et surtout, un cadre légal adéquat, qui protège la propriété et rend les propriétaires responsables des dégâts éventuels causés à autrui. En outre, « il faut faire intervenir l’autorité chaque fois qu’il est impossible de faire fonctionner la concurrence. » La tendance spontanée du capitalisme favorise la constitution de monopoles. 

L’Etat, pour demeurer impartial, doit se contenter de fixer, par la loi, des règles générales. Elles serviront de cadre à l’action des individus qui y inscriront leurs projets particuliers.

Certes, des « ordres construits » sont nécessaires, convient-il. Par exemple l’ordre politique. Mais dans le domaine économique, il faut laisser prospérer l’ordre spontané du marché. Parce que c’est une force impersonnelle et anonyme. L’Etat, pour demeurer impartial, doit se contenter de fixer, par la loi, des règles générales. Elles serviront de cadre à l’action des individus qui y inscriront leurs projets particuliers. Si l’Etat sort de ce schéma et commence à faire des lois de circonstance, économiques ou sociales, il est inévitablement amené à favoriser des intérêts particuliers, sur un mode conjoncturel.

Crédits ; France Culture

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