Liberté d’expression : qui fixe les règles du jeu ?

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© Can Stock Photo / viperagp

A qui revient-il de fixer les limites à la liberté d’expression : à des lois, votées par les Parlements nationaux, ou à des geeks anonymes travaillant pour les plateformes de la Silicon Valley ? Le pouvoir que détiennent aujourd’hui les réseaux sociaux de censurer leurs utilisateurs pose problème.

Douglas Murray, l’intellectuel conservateur britannique du moment, auteur de La grande déraison, intervient fréquemment sur UnHerd. Dans son dernier article, Douglas Murray relève qu’un article publié par ce média britannique dont le programme est de ne pas aller avec le troupeau (herd) — comme son nom l’indique — a été censuré par Facebook. Son auteur, Ian Birren, y avait critiqué un récent rapport de l’OMS, niant que l’épidémie en cours soit partie de Wuhan. « L’intention de l’organisation internationale de ménager la Chine était trop évidente », disait l’article. Facebook a reconnu son erreur et a rétabli l’article incriminé. « On devrait pouvoir critiquer librement ces agences internationales », écrit Douglas Murray. Le mois dernier, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a entendu, à Genève, les représentants de la Corée du Nord, critiquer la situation des droits de l’homme en Australie… Ces organisations internationales ne sont donc absolument pas au-dessus de tout soupçon, on doit pouvoir continuer à avoir le droit de les critiquer. Même en pleine pandémie.

Liberté d’expression : qui doit dire le droit ?

Le pouvoir que détiennent aujourd’hui les réseaux sociaux de censurer leurs utilisateurs pose désormais un problème évident. La rédaction du site Quillette plaide pour une intervention rapide de l’administration Biden. Si les Etats-Unis ne fixent pas rapidement des règles, certains gouvernements semblent tentés de fixer les leurs. Et c’est le cas, en ce moment, en Pologne.

Twitter et Facebook sont des médias très particuliers, écrit Quillette. Ce sont des services privés de communication. On ne peut pas continuer à les laisser décider de manière arbitraire de ce qui est acceptable ou pas. Et les auteurs de l’article rappellent les limites légales à la liberté d’expression, aux Etats-Unis. Elles ont été fixées par la Cour suprême dans son arrêt Brandenburg contre l’Ohio de 1969. Clarence Brandenburg, dirigeant du Ku Klux Klan de l’Ohio, avait tenu des propos racistes et menacé d’organiser une marche sur Washington. Les procureurs de l’Ohio l’avaient attaqué en justice pour appels à la violence et usage de méthodes illégales comme moyens d’atteindre des objectifs politiques. La Cour suprême a cassé cette décision et établi clairement que le Premier amendement, qui interdit au Congrès de voter des lois limitant la liberté d’expression, ne pouvait rencontrer qu’une limite : le fait d’appeler à la violence pour conduire à des actions illégales, et ce de manière imminente.

C’est bien pourquoi, poursuivent les auteurs de l’article, Trump a mérité la censure lorsqu’il a appelé ses partisans à marcher sur le Capitole. Il y avait incitation à la violence de façon imminente.

Quand un secteur fixait lui-même ses règles : Hollywood et le Code Hays

Mais c’est toujours une mauvaise chose, selon Quillette, de laisser une profession décider souverainement des limites qu’elle entend fixer à la liberté d’expression. Le Code Hays, adopté par Hollywood en 1934, interdisait le sexe à l’écran, prohibait en particulier l’homosexualité et toute allusion au contrôle des naissances. C’était une sottise. En 1954, ce sont les éditeurs de comic books, qui ont édicté à leur tour des règles draconiennes concernant ce qu’on peut ou pas montrer à des adolescents. A l’époque, c’étaient des conservateurs qui maniaient le ciseau de la censure.

Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, veillent de jeunes ingénieurs informaticiens, très à gauche et qui « ne prétendent plus à la neutralité idéologique ». On en a la preuve, dans la manière dont Twitter censure et bannit les féministes qui refusent d’attribuer, aux trans le genre réclamé, ou qui osent pointer la réalité biologique du dimorphisme sexuel. Leurs adversaires, au contraire, sont libres de proférer des menaces violentes envers leurs contradicteurs. Il y a visiblement un parti pris idéologique affiché.

Le recours aux lois antitrust

La logique de l’effet de réseau fait que l’ensemble des compagnies de l’Internet forme à présent un oligopole. La rédaction de Quillette invoque donc le précédent de la compagnie téléphonique AT&T, qui contrôlait 90 % du trafic au début des années 1970. En application des lois antitrust, elle a été démantelée. Les lois antitrust, relève Quillette, ont un avantage : elles sont appuyées par la gauche, qui se méfie du pouvoir politique des barons de l’industrie, et par la droite qui prône la concurrence. Il faut aujourd’hui les appliquer aux réseaux sociaux. Quillette fait une proposition assez originale. Dans la mesure où « le capital réputationnel » d’une personne, de nos jours, comporte notamment le nombre d’amis et de followers qu’elle est arrivée à accumuler sur les réseaux sociaux, il n’est pas acceptable qu’un tel capital puisse être détruit sur décision d’on ne sait quel informaticien de la Silicon Valley. Il faudrait pouvoir conserver toutes ces données, afin d’aller les valoriser sur un autre serveur.

Dernière solution : quitter les réseaux ?

Sur le site Areo, Phillip Dolitsky a une autre solution : nous devrions tous quitter les réseaux sociaux, écrit-il. Leur format implique des idées superficielles, la recherche de l’effet facile, la pensée réduite au slogan. Ils sont en train de tuer l’art de l’essai, qui implique réflexion, argumentation, prise en compte des faits. Twitter, c’est bon pour les éternels enfants gâtés à la Donald Trump : pénurie d’idées et abondance de points d’exclamation…


Crédits : France Culture

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