Dans la lutte légitime contre les discriminations, évitons d’essentialiser en retour

De nouveaux combats ont, sinon émergé, du moins pris une place plus importance dans la société : féminisme, antiracisme et, d’une façon générale, toutes les luttes contre les discriminations. Ces luttes ont pris une telle intensité que certains jugent aujourd’hui que ceux qui les mènent vont trop loin. Un mot nous permet d’y voir plus clair : essentialisation[1].

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Crédit : Brett Sayles – Pexels

Pas question de nier l’injustice !

Un post récent sur LinkedIn racontait l’histoire d’une astrophysicienne, Cecilia Payne, une astrophysicienne connue pour être l’une des premières, en 1925, à envisager que les étoiles soient composées majoritairement d’hydrogène. Elle n’a cependant pas revendiqué cette découverte dans sa thèse, car elle est dissuadée par Henry Russel de le faire. Comme Russel a été le professeur du patron de Cecilia, elle s’incline. Le post sur LinkedIn expliquait que Russel avait fait la même découverte quatre ans plus tard.

Il n’en a pas fallu moins pour les commentateurs concluent qu’il lui avait volé sa découverte. Et même qu’il lui avait volé sa découverte parce qu’elle était une femme et qu’elle n’était donc pas légitime pour être honorée. Il est absolument évident qu’être une femme, non seulement à cette époque, mais encore aujourd’hui, ne facilite pas la carrière. Notamment en physique, ainsi que j’ai pu l’apprendre dans un témoignage récent. Il est indubitable que les femmes sont moins bien traitées que les hommes. Cela va même jusqu’à les dissuader d’entrer dans certains domaines ou, plus sournoisement, jusqu’à les convaincre qu’elles ont mieux à faire ailleurs.

Un double scandale

Disons-le tout net : c’est proprement scandaleux. Et la nature du scandale est la suivante : un être humain est jugé tout entier d’après une partie de sa personne, son sexe en l’occurrence. Une femme est jugée ainsi inapte — du moins par certains —, parce qu’elle est une femme. Autrement dit, elle est privée de toute chance de faire la preuve de ses compétences. A contrario, c’est l’autre versant du scandale, un homme aura ainsi, par contraste, le privilège d’être préféré sans devoir faire preuve de ces compétences.

C’est ce que j’appelle fabriquer des monstres : un être qu’on n’a pas besoin de regarder pour le juger indigne d’être même regardé.

Pour autant, c’est aussi, en retour, la façon dont est traité Henry Russel dans les commentaires cités plus haut. Bien entendu, je n’étais pas là et je ne sais rien de ses intentions véritables. Néanmoins, l’article sur Cecilia Payne dans Wikipedia mentionne que Henry Russel a reconnu publiquement que Cecilia Payne avait raison. Je peux imaginer que c’est très sincèrement qu’il l’avait dissuadé de défendre cette hypothèse pour de pures raisons de convictions scientifiques.

En 1905, Albert Einstein s’est mis à dos une grande partie de la communauté des physiciens avec sa théorie de la relativité restreinte. Non parce qu’il était ceci ou cela, mais parce qu’ils n’étaient pas d’accord et qu’il remettait en cause leur vision de l’univers.

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais »

C’est bien le danger des grandes causes, notamment le féminisme, mais aussi l’antiracisme ou l’anticolonialisme : se laisser embarquer au point de mettre tous les suspects — respectivement les hommes, les blancs, les Occidentaux — dans le même panier et faire au fond la même chose que ce qu’on leur reproche précisément de faire ou d’avoir fait.

C’est cela aussi, fabriquer des monstres. Et s’imaginer qu’on fait avancer la société de cette façon est un leurre… Car cela contribue d’abord à peupler notre avenir de créatures effrayantes et à faire perdre leur humanité et à toute une partie de nos semblables.


[1] Acte de réduire un individu à une seule de ses dimensions.

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