Dominique Bourg : « Il nous faut entrer dans une logique permacirculaire » (2/2)

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Crédits : Tomas Ryant – Pexels

Deuxième partie de l’entretien que nous a consacré le philosophe Dominique Bourg, centré sur les solutions à apporter à la crise écologique.

Lionel Meneghin : Quid de la compatibilité entre les mesures nécessaires pour « redresser la barre » et le modèle capitaliste ?

Dominique Bourg : La hauteur de nos flux d’énergie carbonée et de matières nous conduit à excéder ou à approcher les limites planétaires (climat, biodiversité, cycles de l’azote et du phosphore, usage des sols, usage de l’eau, acidification des océans, etc.).

Les mesures pour ralentir le processus de détérioration vont à l’encontre du système capitaliste actuel, sans être pour autant contraires à l’émergence de poches hautement capitalistiques.

Ces mêmes flux nous conduisent également à épuiser les ressources indispensables à nos activités économiques. Ceux-ci dépendent étroitement de nos techniques, et plus encore de nos niveaux de consommation et de la démographie mondiale. Ces flux de matières et d’énergie sont sous-jacents à nos activités économiques. Nous devons aujourd’hui choisir entre une hauteur d’altération qui rendra la vie très difficile et une hauteur permettant des conditions de vie plus supportables. Les mesures pour ralentir le processus de détérioration vont à l’encontre du système capitaliste actuel, sans être pour autant contraires à l’émergence de poches hautement capitalistiques. L’objectif est clair : il faut faire baisser les flux de matières et d’énergie. Difficile d’envisager atteindre cet objectif sans que le PIB ne baisse lui aussi, puisqu’un point de PIB est lié à une certaine quantité d’énergie et de matières consommées.

Force est de constater, après des décennies d’efforts plus ou moins soutenus, que nous ne parvenons pas à découpler la croissance du PIB de la croissance des flux de matière sous-jacents. Les solutions à mettre en œuvre sont contradictoires avec l’injonction à croître toujours plus. D’autant plus que la croissance a qualitativement changé ; elle ne délivre plus les bienfaits qu’elle procurait. C’est l’occasion de repenser ce que nous appelons prospérité.

Lionel Meneghin : Il y a l’économie circulaire ou l’économie dite positive, compatible avec la croissance…

Dominique Bourg : Certes, la transition écologique implique de forts investissements verts, mais non sur le long terme. Réduire à l’échelle mondiale de 50 % les émissions de CO2 en 10 ans, on n’y arrive pas avec la croissance et la technique, mais seulement par un changement de comportements et de civilisation. L’écologie dite positive, compatible avec la croissance, est un mirage. On ne peut pas échapper à la décroissance. De même, on ne peut pas tout recycler. L’efficacité du recyclage reste conditionnée au volume de matière entrante. Or on ne recycle jamais la totalité de ce qui entre. Et avec la croissance, on cherche à augmenter toujours plus les quantités entrantes. Cela ne marche pas, même dans une économie circulaire. Cette dernière ne constitue pas une démarche de progrès, mais un nouveau type de société industrielle.

L’économie circulaire minimise notamment les ponctions et les impacts irréversibles sur les ressources naturelles.

L’économie circulaire ne se réduit pas à une simple boucle, car l’économie industrielle forme un système complexe, aux interactions infiniment nombreuses entre différents sous-systèmes hétérogènes et à toutes les échelles de temps et d’espace. L’économie circulaire minimise notamment les ponctions et les impacts irréversibles sur les ressources naturelles. Il nous faut entrer dans une logique « permacirculaire », c’est-à-dire qui permette d’inverser les flux qui débouchent sur le franchissement des limites planétaires et de revenir à une empreinte écologique à la mesure de la Terre. Les moyens de ce retour peuvent emprunter des trajectoires économiques variées. J’en dénombre trois. D’abord une voie high-tech très capitalistique, utile au moins pour un temps aux autres activités. Ensuite celle de l’économie sociale et solidaire, avec un fort ancrage territorial et des ressources locales. Enfin, une voie expérimentant des modes de vie et de production à basse empreinte, aussi bien à l’échelle locale qu’internationale.

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