« La collapsologie donne une visibilité au navire de l’humanité » (2/2)

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© Can Stock Photo / rolffimages

Les études convergent pour nous annoncer la forte probabilité du « collapse », soit l’effondrement de nos sociétés fondées sur la surexploitation des ressources naturelles. Pierre-Éric Sutter, psychologue, et Loïc Steffan, économiste, analysent les mécanismes de la prise de conscience, chez ceux qui rejettent l’idée de collapse et chez ceux qui l’acceptent. Mais cet horizon nouveau n’est pas uniquement négatif.  Deuxième partie de notre entretien.

A la fin des années 60, le Club de Rome et de nombreux futurologues préconisèrent « la croissance zéro » pour sauver la planète. Seraient-ils davantage écoutés en 2020 ?

Pierre-Eric Sutter : Je pense que la fable de la croissance infinie a vécu, on en voit désormais bien mieux les limites et même les dangers. Mais nombreux sont ceux qui vont se battre pour le défendre, car ils ont beaucoup à perdre à ce que l’on abandonne ce paradigme. Et ce ne sont pas forcément les plus riches. On l’a vu durant la crise des Gilets jaunes : on ne peut pas gérer les problèmes écologiques sans prendre en compte les aspects sociaux. Encore plus avec l’économie et ses composantes. De plus en plus d’économistes soucieux d’écologie (par exemple Gaël Giraud, coauteur de Produire plus, polluer moins, l’impossible découplage ? Ed. Les Petits Matins. 2014) proposent des systèmes alternatifs très intéressants, basés sur la sobriété ou la symbiose, dont les Etats devraient s’inspirer pour réaliser la transition écologique par le haut.

Heureusement, la société civile n’a pas attendu la crise du Covid pour expérimenter nombre de modèles alternatifs au plus près des territoires, sans l’aide de l’Etat.

Dans notre ouvrage, nous faisons témoigner nombre de ces ‘transitionneurs’ qui montrent qu’il est tout à fait possible de se réapproprier en toute autonomie sa production alimentaire ou énergétique de façon totalement écoresponsable, de vivre en mode ‘low tech’ voire carrément sans salaire et que cela les rend heureux malgré les embûches !

Prôner une nouvelle société à l’échelon de la planète est-il conciliable avec la lutte indispensable contre la récession économique en marche, la plus lourde depuis la crise de 1929 ?

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Pierre-Eric Sutter & Loïc Steffan, N’ayez pas peur du collapse !, Editions Desclée de Brower. 2020.

Pierre-Eric Sutter : C’est l’occasion ou jamais. La croissance infinie, malgré ses promesses, n’a pas enrichi les plus pauvres, même si les progrès parviennent à accroître notre espérance de vie et à nourrir quasiment tous les terriens. Proposer un ‘new deal vert’ qui ne repose pas sur la seule relance de la croissance est tout à fait envisageable. La relance économique peut se faire en conditionnant rigoureusement les aides de l’Etat à l’engagement des acteurs économiques à faire transitionner leurs outils de production ou de distribution vers un plus écologique ET social. Le CJD s’est fait souvent l’écho de propositions qui allaient dans ce sens, rien de nouveau sous le soleil. Sauf que ses rayons deviennent de plus en plus ardents sur une terre de plus en plus aride… Un monde qu’on laisserait s’effondrer ne pourrait pas continuer à créer suffisamment d’activité économique et de richesse pour tous. Il est donc impérieux de réagir, dès maintenant.

Quels changements sont-ils nécessaires dans les comportements individuels pour convaincre des bienfaits du collapse ?

Pierre-Eric Sutter : C’est très simple à comprendre, beaucoup plus dur à appliquer, car cela nécessite de la détermination. Si nous voulons atteindre les objectifs de la COP 21 – et donc un réchauffement climatique limité à + 2 degrés en moyenne d’ici 2100, il faudrait que chaque citoyen ne dépasse pas 2 tonnes de rejet de gaz à effet de serre par an alors que le Français moyen en rejette environ 10 à 12 tonnes. Dit comme cela, c’est assez abstrait. Concrètement, cela représente ce que rejette une voiture diesel qui fait 10.000 km par an. Ou c’est 4 allers-retours Paris Lisbonne par an. Cela paraît immense, voire inaccessible, mais certaines décisions, certes un peu radicales, permettent d’atteindre ce quota ; quand on est citadin, cesser de prendre sa voiture et la remplacer par le vélo électrique ou les transports en commun est de plus en plus envisageable, arrêter de prendre définitivement l’avion aussi, pour partir en vacances en France que tous les étrangers nous envient — rappelons que notre pays est la première destination touristique au monde —, devenir flexitarien voire végétarien en mangeant local, partager son électroménager avec ses voisins, etc. On ne voit bien, nous n’y arriverons que si nous nous y mettons tous ensemble à notre humble niveau.

Dans votre livre, vous appelleriez tout simplement à une révolution de l’être et de l’avoir ?

Pierre-Eric Sutter : Oui c’est cela : moins d’avoir et plus d’être. Cela ne veut pas dire que l’on prône le retour à l’âge de pierre, bien au contraire. Nous ne renions pas le progrès et ses bienfaits. Nous invitons nos lecteurs à méditer, à réfléchir à chacun de leurs actes quotidiens pour s’habituer à en faire des écogestes durables dans le temps. Chaque geste compte. Prendre une douche plutôt qu’un bain, diminuer sa consommation de viande, accroître celle des légumes de saison et locaux, prendre son vélo plutôt que sa voiture, arrêter de faire les soldes en se contentant d’habits qui dorment dans nos armoires. Par-delà, nous les incitons à s’engager dans des écoprojets dans leur entreprise ou leur territoire : lancer des jardins potagers permacoles partagés, des épiceries participatives, des fermes collaboratives, des ruches urbaines, des recycleries ou encore des monnaies locales qui favorisent les commerçants du cru… Ce qui se passe à l’intérieur se voit à l’extérieur. L’union faisant la force, c’est à plusieurs que l’on y arrivera, en s’inspirant et en se ressourçant des expérimentations réussies, pas tout seul recroquevillé dans son coin. C’est ce qui permet de garder une espérance en l’avenir de l’humanité.

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