Pourquoi je (ne) combats (pas) Laurent Alexandre

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Laurent Alexandre au Senat le 19.01.2017 pour parler de l’impact de l’Intelligence Artificielle sur la société et l’économie française.

OPINION – Le blasphème climatosceptique n’étant pas encore interdit, j’ose critiquer l’empoisonneur du débat sur l’écologie : le message de Laurent Alexandre est nocif. On arrête là le pastiche de la tribune commise dans l’Express (29 septembre) par le « chirurgien, énarque, entrepreneur » – parce que l’erreur à ne pas commettre, c’est d’utiliser les armes de l’adversaire sur le terrain qu’il a lui-même choisi.

Le terrain, quoi qu’on en dise, n’est pas celui de l’écologie : c’est une dimension parallèle où la logique, la raison, les idées et les règles les plus élémentaires de la bienséance n’ont pas leur place. Elle imprègne tous les débats de société, en France comme ailleurs, que ce soit sur l’IVG, la GPA, les migrations, le féminisme, les droits LGBT, ou encore le port d’armes aux Etats-Unis.

Les instruments dont Laurent Alexandre dispose pour son « combat » sont un véritable kit d’armes de distraction massive : de l’attaque ad hominem aux procédés rhétoriques de mauvaise foi, en passant par le travestissement des idées de ses interlocuteurs, tous les coups sont permis pour empoisonner le puits et empêcher toute discussion sereine sur le fond.

Un combat fastidieux, mais nécessaire

A quoi bon alors s’engager dans un mano a mano avec Laurent Alexandre ? « Je n’ai pas de temps à perdre à parler avec des bouffons », dixit le philosophe Bernard Stiegler dans une interview accordée en avril 2019 au laboratoire d’idées Thinkerview. « Le meilleur service qu’on puisse rendre à la cause est de le laisser s’exciter tout seul », confiait récemment un autre acteur très engagé dans le débat sur l’écologie.

Le problème, c’est que peu d’intellectuels, écologistes ou éditorialistes de calibre daignent se pencher sur le discours de Laurent Alexandre pour le déconstruire, en exposer la vacuité et neutraliser sa capacité de nuisance. Conséquence directe : le principal intéressé a le champ libre pour pratiquer sa politique de la terre brûlée sur des sujets qu’il ne maîtrise pas, en l’occurrence l’écologie, avec un enthousiasme inversement proportionnel à sa modestie.

La déconstruction détaillée de ses propos est un exercice fastidieux, certes, mais nécessaire, voire d’utilité publique. Dans le domaine de l’écologie, une fois mis de côté gesticulations, invectives, effets rhétoriques et enfumages, l’analyse révèle une absence quasi-totale d’argumentation sur le fond, de propositions constructives ou de réflexion. L’imposant échafaudage, soutenu par une solide élocution et le magnétisme du personnage, masque un vide béant. Le fond s’avère en réalité tellement pauvre qu’il ne reste presque que la forme à critiquer.

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Pourquoi alors accorder autant de place à Laurent Alexandre dans les médias ?

C’est la question que pourraient se poser les décideurs chargés de meubler les temps d’antenne et les colonnes de la presse. Certains journalistes rueraient déjà dans les brancards, comme à l’Express, où ils auraient demandé à leur hiérarchie de cesser toute collaboration avec lui.

En attendant, chaque ligne, chaque minute d’antenne accordées au pourfendeur-en-chef de Greta Thunberg encombrent notre temps de cerveau disponible et nous empêchent de faire avancer le débat. Les fausses polémiques, les invectives et les allusions à des théories du complot (Laurent Alexandre. a par exemple tweeté en mars que « La France sera demain café au lait et majoritairement musulmane », et que « le Grand Remplacement n’est pas un complot ») nous distraient, tout en faisant le bonheur de la fachosphère.

Une usine à discours toxique

Rien de tout cela n’est innocent. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer la prestation de Laurent Alexandre lors d’un débat télévisé en direct intitulé « Greta Thunberg : Pourquoi tant de haine ? », diffusé sur RT France, avec sa tribune sur le même sujet, publiée moins de trois semaines plus tard dans l’Express. Comme dans les grandes campagnes de relations publiques et chez les politiciens les plus rodés, on y trouve des éléments de langage diffusés de manière récurrente et systématique, avec pour seul ordre du jour de démolir, semer le doute et promouvoir le statu quo.

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« Si la liberté n’a qu’un sens, c’est le droit de dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre ».

Alors non, je ne me bats pas « contre » Laurent Alexandre ni ses idées, car il n’a manifestement rien à proposer sur l’écologie. C’est contre ce type de discours toxique et haineux qu’il faut s’ériger, le même qui sort des bouches de Trump, Salvini, Orban et autres Bolsonaro. Faute de quoi nous serons bientôt submergés et incapables de nous accorder sur quoi que ce soit, à commencer par le changement radical de cap qu’exige le défi climatique.

Ne tombons pas dans le travers de juger le messager plutôt que le message. Demandons simplement la mise au rancart médiatique d’un personnage dont les propos auraient, en temps normal, déjà disqualifié n’importe qui.


Miguel Quintana, journaliste

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