Roubaix, future Brooklyn du Nord ?

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© Can Stock Photo / SimeonD

« Roubaix ». À peine ce mot est-il prononcé qu’immédiatement l’image de la grande ville la plus pauvre de France apparaît dans le cerveau en face. Ce que l’on sait moins, c’est que ce pôle urbain de la Métropole Européenne de Lille est partagé entre deux courants qui s’affrontent presque brutalement. Du très pauvre au très riche, il n’y a que quelques pas.

Elle est la quatrième ville des Hauts-de-France après Lille, Amiens et Tourcoing. Roubaix, la ville aux mille cheminées, frôle les 100 000 habitants (96 953 au 1er janvier 2019, selon l’Insee). Elle est jeune (près de la moitié de sa population a moins de 30 ans), elle surprend de par l’impressionnante ambiance de solidarité qui y règne.

Artères incroyables de beauté

Mais elle est aussi une « ville aux deux visages », pour reprendre l’expression du politologue Gilles Kepel. Du point de vue économique, Roubaix souffre terriblement par endroits (en 2018, 46 % des Roubaisiens vivaient sous le seuil de pauvreté, avec moins de 980 euros bruts par mois). Certains quartiers, comme celui de l’Épeule, doivent être repensés. Les habitants pestent contre leurs « logements insalubres » ou des « rats qui envahissent l’école de leurs enfants ». Misère, désespoir, trafics en tout genre et des jeunes à la dérive apparaissent malheureusement trop souvent sur la photo instantanée que l’on garde en tête en quittant le quartier de l’Alma. À l’Hommelet, on se plaint de l’insécurité et des crissements de pneus le soir tombé.

Pour autant, Roubaix abrite par ailleurs des artères incroyables de beauté. Pas étonnant, quand on sait que des fortunes considérables et des maisons de maître s’alignent à partir du Boulevard du Général de Gaulle, où Roubaix se meure pour laisser place à la ville de Croix. Là, les résidences des Mulliez (fortune estimée : 18 milliards d’euros) font leur effet. Tout le long du Grand boulevard qui relie le centre de Roubaix au centre de Lille, le Parc Barbieux semble être le Central Park du lieu, avec ses 1,5 kilomètre de long, ses 34 hectares de superficie et ses 60 essences d’arbres séculaires. Le poumon vert qui cache en son sein une petite grotte, quelques animaux et où les amoureux de nature et de calme y trouvent refuge.

Roubaix, c’est également la ville natale de Bernard Arnault. Le patron de LVMH y est né, et, avant d’acquérir 117 milliards d’euros, il a vécu dans la maison de ses grands-parents maternels de l’âge de 10 ans jusqu’à son entrée à Polytechnique. Une petite demeure en briques rouges que le deuxième homme le plus riche du monde retrouve tous les ans. En effet, chaque année à la Toussaint, Bernard Arnault file dans le Nord, se reposer dans cette propriété qu’il ne vendra jamais. « Elle représente beaucoup pour moi », avait-t-il d’ailleurs confié en 2008 à Capital. Un affect son fief d’origine qui n’est pas sans nous rappeler celui du rappeur Jay Zen pour son Brooklyn natal.

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Recherche artistique intense

Et de Brooklyn, Roubaix n’en est peut-être pas loin… Depuis quelque temps, les collectifs, les expositions, les projets grouillent ici ou là. Le pôle d’excellence et d’innovation EuraTechonologies, dans une démarche de verticalisation de ses activités, vient d’y ouvrir un incubateur dédié aux PropTech — ces startups technologiques qui accélèrent la transformation du secteur de l’immobilier vers les usages et métiers de demain. La nouvelle économie du Web installe ses locaux dans les anciennes manufactures de tissu (n’oublions pas que La Redoute, les 3 Suisses, Damart, les grandes enseignes de la vente par correspondance sont nées à Roubaix). La présence de bâtiments industriels qui ont fait les heures de gloire notamment du textile en France avant de se laisser envahir par l’art. Par les petits cafés. Par l’esprit du tag et des gens colorés. L’un des plus grands hébergeurs de sites Internet mondiaux, OVH, y a également établi son siège social.

Le plasticien lillois Antonio Bilotta, imprégné de cultures américaine et italienne (il s’inspire de Brooklyn et de Venise) a installé son atelier à Roubaix afin d’y mener un travail de recherche artistique intense avant d’exposer dans le cadre prestigieux de la Biennale de Venise. Non loin de la Condition Publique (véritable manufacture culturelle, la Condition publique comprend, entre autres, des salles de spectacle, des studios de répétitions, une maison pour les artistes) le Mercado Negro, lieu étonnant et totalement caché propose, au rez-de-chaussée, un restaurant haut de gamme qui met en valeur la gastronomie portugaise dans un cadre ouvert et agréable. À l’étage, un bar incroyable vous accueille le soir à partir du mercredi.

Tendance

Une effervescence palpable au sein d’une ville toute en contrastes, où le paradoxe de l’économie française est à son apogée. Le centre-ville a belle allure, et puis des artères, plus excentrées, qui laissent bouche bée. Des commerces qui ont baissé leurs rideaux de fer, aux côtés de fenêtres barrées et de panneaux « à vendre ». Un mode de vie « système D » qui se retrouve nez à nez avec Mac Arthur Glen et ses enseignes telles que Figaret, devant laquelle des badauds qui se demandent « si cette année la marque va diversifier ses chemises ». D’une rue à une autre, d’un boulevard à l’autre, un passage piéton marque la zone de transition de deux mondes diamétralement opposés. De la personne sans activité professionnelle au CSP+++, il n’y a pour ainsi dire que quelques enjambées. Après avoir été un ghetto new-yorkais, Brooklyn a évolué en quartier branché qui fait désormais la part belle aux artistes, aux créatifs, aux restaurateurs ou encore aux immenses friperies dans lesquelles on aime errer des heures. Dans le même état d’esprit, avec ses quelques 100 nationalités qui l’animent à chaque instant, cette façon de tendre vers le « tendance »,

Roubaix semble doucement muter en Brooklyn des Chtis. La ville délaisse progressivement une image d’extrême pauvreté pour permettre à celles et ceux qui ont des idées, de l’audace et surtout le goût de l’hybride de s’y enraciner.

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