« Le problème, c’est le problème »

Dans cet aphorisme en forme d’évidence du sociologue Michel Crozier, il faut surtout lire : n’appliquez pas des solutions toutes faites à des problèmes que vous n’avez pas suffisamment explorés. Il y a surtout, en toile de fond, la sacro-sainte croyance que tout problème peut être identifié par un diagnostic et qu’à chaque diagnostic correspond un remède. Et si c’était une illusion ?

canstockphoto47900724
© Can Stock Photo / alphaspirit

Le fait est que le premier réflexe qui vient face à un problème, c’est de s’en débarrasser. La première façon de réagir, c’est le déni. « Ça va aller, ce n’est rien… » Voyez ce qui s’est passé avec le COVID. Je ne parle pas uniquement du gouvernement — ceci n’est pas un billet polémique sur le sujet —, mais de nous tous. N’avions-nous en effet pas envie de croire que, non, le virus ne viendrait pas jusqu’à nous, non, il ne nous affecterait pas, oui, nous saurions réagir ?

Évidemment, face à un vrai problème, cette attitude est tout sauf efficace, voire elle peut être contre-productive. Accordons-lui de nous éviter de perdre du temps sur tout un tas de faux problèmes.

La deuxième façon de réagir est d’appliquer une solution connue. Hop ! Un petit doliprane et ça va passer, puisque, d’habitude, je soigne mes « gripettes » de cette façon.

Nous retrouvons là les modes de fonctionnement évoqués par Daniel Kahneman dans son ouvrage « Système 1 / Système 2 : les deux vitesses de la pensée ». Le système 1, c’est le réflexe, le mode le plus économique pour le cerveau, tout ce qu’on fait de façon automatique. Par exemple, ignorer le problème, le traiter « comme d’habitude ». Le système 2, c’est le mode logique et réfléchi, plus lent par conséquent, qu’il faut bien nous résoudre à utiliser face à un problème persistant et contre lequel les solutions éprouvées sont sans effet, voire produisent des résultats à l’inverse de ceux attendus.

Mais c’est là que les choses se corsent : car la démarche ordinaire est de faire un diagnostic, puis de prescrire le remède. Mais c’est encore une façon de faire selon le système 1 (peut-être le système 1,5), car cela repose toujours sur des raccourcis. Penser qu’un diagnostic est possible, c’est penser qu’il existe une causalité simple qui explique le problème. Si ce dernier est un tant soit peu complexe, c’est une illusion.

Causes entrelacées

Laissez-moi donner un autre exemple : les projets informatiques rencontrent souvent du retard. Après avoir refusé de le constater (déni), puis pensé que les équipes allaient rattraper le retard en leur passant un bon savon (solution toute faite), nous faisons un diagnostic et nous constatons que c’est telle partie du projet qui fait goulet d’étranglement. Facile, nous disons-nous, ajoutons des ressources. Mais, comme la dit joliment Frederick Brooks dans « Le mythe du mois-homme », « ajouter des gens sur des projets en retard ne fait qu’ajouter du retard » (Êtes-vous d’accord avec cela ? Brooks dit que neuf femmes ne font pas un enfant en un mois).

La vérité est que le retard d’un projet informatique est fait de multiples causes entrelacées : incompréhension du besoin, négligence du client qui pense que son travail est fini une fois le besoin exprimé, tendance de chacun à faire ce qu’il a envie de faire (l’effet geek, quand la technique prime sur le résultat), etc.  Sans compter les situations où le problème lui-même (ainsi qu’illustré dans cette histoire), s’aggrave lui-même.

Tirer sur une des ficelles ne fait que resserrer le nœud de la pelote.

Que faire alors ? La même chose que lorsqu’on essaye de démêler une pelote. Étaler les fils sur un espace dégagé, mettre de l’espace et de l’air, ne pas se précipiter, démêler doucement nœud après nœud sans jamais forcer et être attentif à comment progresse la situation d’un point de vue global.

Ceci suppose de renoncer à résoudre très rapidement le problème. Soyez sûrs néanmoins que le meilleur moyen d’aller vite, c’est d’aller lentement et de se souvenir que le problème, c’est le problème.

Partager cet article