Petite leçon de rhétorique pour cadres et dirigeants (1) : les règles du débat

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Crédits : Can Stock Photo – focalpoint

Une série d’articles sur ce que la rhétorique, qui semble faire un retour sur le devant la scène après avoir été considérée comme une chose du Moyen-Âge, peut apporter au management.

Cette série de billets est inspirée par la chaîne YouTube de Victor Ferry, l’artisanat rhétorique, qui « parle » – « Il faut qu’on en parle ! » est son gimmick – de la rhétorique appliquée à des situations de la vie publique. Il réussit ainsi à rendre cette obscure pratique – du moins ce qui était jusque-là dans un mon esprit une pratique obscure – en une lumineuse série d’outils et de conseils. Le but de cette chaîne, dit Victor Ferry, c’est de vous aider à défendre les causes qui importent.

Or, à n’en pas douter, vos entreprises – à entendre au large de ce que vous entreprenez dans votre vie – sont des causes qui vous importent, que vous voulez défendre, voire que vous voulez promouvoir. Et donc, il faut qu’on en parle, comme dirait Victor.

Quelques règles de débat

Dans une vidéo – Chouard vs Enthoven : leçons pour mieux débattre – Victor Ferry analyse le débat entre les duettistes et déclare vainqueur… le journaliste qui a su faire de ce moment une foire d’empoigne. Ce qui fait de l’audience, mais pas avancer le débat. Puisqu’en effet, nous assistons à une discussion qui se polarise bientôt entre deux positions radicalement opposées, comme une guerre de tranchées faisant donc de ce moment une boucherie à idées façon 14-18.

Pour faire avancer le débat, nous dit le youtubeur, il eut fallu respecter quelques règles de débat que nous a laissées en héritage Aristote :

1/On ne passe pas à la question suivante avant d’avoir tranché la question du moment. Laisser en suspens une question, c’est-à-dire un désaccord entre les parties, en suspens, cela empêche de faire du « sol », c’est-à-dire des points d’appui pour continuer le débat.

Ce n’est ni plus ni moins que le mécanisme de montée aux extrêmes décrit par René Girard, à savoir cette polarisation de plus en plus radicale entre les adversaires qui conduit à des actions de plus en plus radicales et une violence de plus en plus grande.

Ceci me fait l’effet de déclencher une réaction en chaîne en laissant des mines non désamorcées sur son passage. Le résultat en est une montée aux extrêmes et à une possible survenue de la violence. Ce n’est ni plus ni moins que le mécanisme de montée aux extrêmes décrit par René Girard, à savoir cette polarisation de plus en plus radicale entre les adversaires qui conduit à des actions de plus en plus radicales et une violence de plus en plus grande.

2/Au cours d’une question, chacun a un rôle. Le proposant qui expose sa thèse et l’opposant qui tente de la déconstruire. Le principe est qu’on ne change pas de rôle pendant une question. C’est très lié au principe précédent : si je suis opposant et que je deviens proposant, je passe presque automatiquement sur une autre question puisque ma thèse aura toutes les chances d’aborder le sujet différemment en transformant donc le périmètre du débat.

Ces deux principes sont assez loin de nos pratiques quotidiennes, façon discussion à bâtons rompus. Cette dernière permet de passer des soirées agréables avec ce sentiment de surfer sur les sujets sans vraiment les aborder en profondeur. Loin de moi d’ailleurs l’idée de dénigrer ce genre de moment, il est essentiel pour constituer et solidifier les relations car ce qui se dit durant ces conversations, dont l’archétype est de parler de la pluie et du beau temps, c’est non du contenu, mais de l’être. Nous nous donnons à voir à l’autre en train de parler plutôt que de nous concentrer sur le contenu.

Aristote toujours d’actualité

En cas de nécessité d’un débat sur un sujet important, c’est évidemment une autre paire de manches. Une situation conflictuelle, pour ramener le sujet vers mes marottes, nécessite de faire autrement que ce que nous faisons d’ordinaire. Les conseils rapportés par Victor Ferry concentrent efficacement et de façon concise mes consignes dans les réunions de régulation. Parler les uns après les autres ; donner une place à la parole de chacun ; comprendre et d’abord entendre la thèse de l’autre en profondeur avant de répondre, ne pas zapper.

C’est ainsi qu’Aristote nous donne à voir que nous pouvons, au XXIème siècle, rejoindre les conseils d’un personnage de l’Antiquité pour traverser nos conflits du moment.

Laurent Quivogne

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