Dans quel monde vit-on !?

Oui, vraiment, dans quel monde vit-on !? J’ai envie de pousser un coup de gueule ! Depuis quelques années, le monde part en vrille, ça n’était pas comme ça avant. Je dis : indignez-vous ! Nous ne pouvons pas laisser faire ça ! Signez la pétition. Si ça continue, nous courons droit à la catastrophe. Que fait le gouvernement ? Aujourd’hui, tout le monde est corrompu.

Après ce petit florilège, sans queue ni tête, qui n’a d’autre vocation que de rappeler quelques-unes des phrases les plus lues sur le web, mais aussi entendues dans les conversations, disons d’abord que je n’entends pas invalider ici les colères qui se cachent derrière chacune de ses invectives. Oui, le monde est imparfait, oui des menaces planent sur l’avenir, oui la lutte est souvent nécessaire pour faire avancer les choses et changer ce qui nous semble devoir l’être.

Mais il se cache souvent dans ces indignations un sous-entendu que je prétends ici questionner : l’être humain devrait être différent – pour ne pas dire meilleur – de ce qu’il donne à voir. Cet homme meilleur pourrait se cacher dans le passé – c’était mieux avant – ou dans le futur – nous aurons des lendemains qui chantent. Il est parfois perverti : c’est alors la faute d’autres personnes ou groupes qui l’empêchent d’être tel qu’il pourrait être. Selon qui en parle, cet empêchement est politique ou social, génétique, culturel, ce peut être le manque d’éducation ou la télévision. Les responsables sont donc le gouvernement, la jeunesse, les étrangers, l’Internet, la société, la vie facile, la vie difficile, que sais-je encore.

Dans tous les cas, quelque chose fait obstacle à ce que l’être humain parfait advienne, raisonnable, aimant, collaboratif, loyal et honnête.

Qu’on se désole des malheurs du monde est une chose compréhensible. Qu’on veuille l’améliorer l’est tout autant. Il y a cependant dans cette indignation une sorte de refus de l’être humain tel qu’il est : faible, corruptible, inégal, capable de belles choses comme des pires. Je confesse que je me mets dans le lot, quand je peste contre mes semblables pour de grandes ou de petites occasions ; pour le réchauffement climatique ou la bousculade dans le métro.

Mon intuition n’est pas tant, d’ailleurs, qu’en nous indignant de la sorte, nous manquions d’indulgence vis-à-vis d’autrui, mais que nous ne soyons pas clairvoyant vis-à-vis de nous-mêmes. Croire que l’homme déchoit en n’étant pas tel qu’il devrait être, c’est peut-être se projeter et se reprocher à soi-même – mais en silence – de n’être pas tel que nous désirions être. C’est attribuer l’autre des manquements que je refuse de voir chez moi.

Ne pas reconnaître sa part d’ombre n’est pas seulement un manque de connaissance de soi-même ; pas seulement un confort qui permet d’éviter l’autocritique. C’est d’abord se couper d’une partie de soi-même et perdre en puissance et en plénitude de vie ; c’est mutiler sa conscience.

Aussi ai-je toujours conçu une certaine défiance contre le mot d’ordre « Indignez-vous ! » Auquel je lui substituerais volontiers, au moins comme préambule, celui de : « acceptez-vous ! »

Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/

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