Entrepreneurs, prenez vos désirs pour des réalités !

Prendre ses désirs pour des réalités, ou des vessies pour des lanternes… L’expression laisse entrevoir le rêveur ou le doux dingue. En même temps, être entrepreneur, c’est précisément faire le pari que le monde va se plier à nos désirs. Et parfois en faire l’expérience… Et parfois encore en faire l’expérience inverse. Mais est-il possible de NE PAS prendre ses désirs pour des réalités ?

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Crédit : Bradley Hook – Pexels

J’aime cet exemple très simple et dont chacun sans doute a fait l’expérience. Si j’ai très faim et que je me promène en ville sans un sou en poche, je ne vais voir que les boulangeries, restaurants et magasins d’alimentation. J’ai un désir et, tant qu’il n’est pas satisfait — ce que l’éventuelle absence d’argent en poche permet de prolonger — mon regard sur le monde est transformé. Que mon désir soit enfin exaucé avec un bon sandwich et un autre désir prendra le relais pour me montrer la ville ou le monde sous un autre angle.

Une histoire de Nasr Eddin (disponible en audio ici) montre notre héros (un personnage perse vieux d’un millénaire environ), justement sans le sou, en train de se gaver de nougats dans un magasin. Le commerçant l’invective, essaye de l’arrêter, puis, dans l’insuccès, s’énerve et finit par rouer l’importun de coups de bâton. Nasr Eddin s’émerveille alors que les habitants de la ville sont si généreux qu’ils donnent des coups de bâton aux étrangers pour les forcer à manger du nougat.

Ainsi interprète-t-il jusqu’aux comportements d’autrui en fonction de son désir propre et, pour tout dire, de son estomac. Nous avons beau protester que ça n’arrive qu’à lui, nous fonctionnons bel et bien de la même façon.

C’est peu de dire que nous voyons le monde tel que nous avons envie de le voir. C’est dire un peu plus que, sans doute, nous ne sommes pas capables de voir le monde tel que n’avons pas envie de le voir. De là ces entreprises qui vont dans le mur ; ces investisseurs qui persistent à mettre du cash dans un projet qui bat de l’aile ou ces industriels qui s’entêtent quand il faudrait mieux tout arrêter et repartir à zéro. Ce qu’on appelle l’aversion à la perte.

De là l’utilité de prendre conseil pour éviter de se laisser aveugler par ses propres désirs. Oui, mais me confiait récemment un entrepreneur, c’est risquer de laisser briser son élan. « Je ne travaille plus avec X, me disait-il, en qui j’ai eu confiance pendant des années, parce que dans la phase de création, son conservatisme et sa rigueur comptable si utiles dans le fonctionnement normal d’une entreprise, me plombaient et m’empêchaient d’avancer. »

Mettre ses désirs sous surveillance, donc, mais pas trop !

Que faire alors ? Une possibilité est de confier cette tâche de surveillance à une autre version de nous-mêmes. J’entends par là décider à l’avance les limites jusqu’où aller, limites en termes de temps, en termes d’investissement avec un éventuel intervalle de tolérance. Démarche qu’on peut évidemment cumuler avec un regard extérieur, non pour nous donner des conseils, mais pour nous garder sous son regard, tandis que nos désirs nous font transformer le monde.

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