L’indépendance électrique de la France en question

Alors que l’Europe est aux prises avec une crise énergétique, sans précédent depuis 1973 causée par la guerre en Ukraine, la France a pensé dans un premier temps être protégée par l’importance de son parc de centrales nucléaires. Erreur…

Notre pays était jusqu’à une date récente exportatrice d’électricité. La France ne consomme pas beaucoup de gaz, hormis au sein des grandes villes et avant tout en île de France. Le fuel et l’électricité sont les deux énergies majeures pour les ménages avec les carburants. Estimant que la question des prix l’emportait sur la problématique d’accès à l’énergie, les pouvoirs publics ont centré leur politique sur le bouclier tarifaire et les ristournes à la pompe. Ce n’est que dans un second temps que les économies d’énergie ont été replacées au cœur de la politique gouvernementale, contrairement à l’Allemagne qui a dû réduire rapidement sa consommation d’énergie en raison de sa forte dépendance au gaz russe.

Sobriété forcée

L’appel d’Emmanuel Macron, le 14 juillet dernier, pour l’instauration d’un régime de « sobriété » énergétique, pour réduire la consommation et le gaspillage constitue une rupture par rapport aux communications précédentes. Le gouvernement entend réduire la consommation globale d’énergie de la France de 10 % d’ici 2024. Il a été décidé de sanctionner les magasins laissant les portes ouvertes pendant que la climatisation est allumée ou en cas d’enseignes commerciales allumées toute la nuit.

L’idée était que grâce au nucléaire, la France était indépendante sur le terrain de son électricité. Au-delà de l’opposition des écologistes et d’une partie de LFI, la politique nucléaire fait l’objet d’un large consensus en France, allant de l’extrême droite jusqu’au parti communiste. La construction des centrales nucléaires s’est étalée en France des années 1960 jusqu’aux années 1990. La première centrale reliée au réseau date de 1963. Avec une capacité installée de près de 61,4 GW, le parc nucléaire français est le deuxième plus important parc au monde en puissance, derrière celui des États-Unis. En 2021, il a produit 360,7 TWh d’électricité, soit 69 % de la production électrique totale en France métropolitaine et 42 % de l’ensemble de l’énergie produite, contre 6 % en Allemagne. Le parc nucléaire français compte 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement répartis sur 18 sites (centrales), après l’arrêt des 2 réacteurs de la centrale de Fessenheim en février et juin 2020 (14 réacteurs ont déjà été arrêtés dans le passé). 

Les autorités françaises sont conscientes depuis plusieurs années de la fragilité de l’avantage que constitue le parc nucléaire français. Ce parc vieillit à grande vitesse obligeant à de longs arrêts de réacteurs.

Plus de la moitié des 56 réacteurs du pays sont fermés pour maintenance, en raison d’inspections de routine ainsi que de problèmes de corrosion. Les normes ont été durcies après l’accident de Fukushima exigeant d’importants investissements de mise à niveau. Les centrales françaises ont été construites en prenant en compte les retours sur expérience des accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl, mais pas du suivant. EDF est confrontée au chantier sans fin de l’EPR de Flamanville. La mise en réseau de cette centrale ne devrait intervenir qu’en 2024 quand elle était prévue pour 2012. Le coût de la construction est passé de 3,4 à 12,7 milliards d’euros. Les nouvelles technologies mises en œuvre, le durcissement des normes et le manque de compétences expliquent la succession des retards. Six nouvelles centrales nucléaires EPR devraient être construites en France d’ici 2037. La nationalisation d’EDF vise à lui garantir les ressources suffisantes pour financer les investissements nécessaires.

Inquiétudes et vigilance

La production électrique de cet hiver devrait être inférieure de 25 % à celle d’une année normale. Pour compenser, la France devra acheter de l’électricité sur les marchés de gros et a décidé de remettre en fonction une centrale au charbon à Saint-Avold, mise sous cocon seulement en mars. EDF dont les pertes ont atteint plus de 6 milliards d’euros au cours du premier trimestre, sera nationalisé comme l’a annoncé le 6 juillet, le gouvernement. Avant cette annonce, l’État détenait déjà 84 % du capital.

Le Gouvernement est vigilant sur le sujet des prix de l’énergie, car il n’oublie pas que la naissance de la crise des gilets jaunes en 2018 a commencé avec l’augmentation du prix du carburant. Du fait de cette crise, contrairement aux autres pays européens, les consommateurs français ont été protégés de l’inflation des prix des carburants. Cette politique est critiquée en Europe, car elle n’incite que marginalement aux économies d’énergie et engage les finances publiques. La France s’est opposée à l’appel de la Commission européenne de réduire de 15 % la consommation de gaz au nom de la solidarité européenne. 

Les Gouvernements s’inquiètent d’éventuelles pénuries de gaz et d’électricité cet hiver. Si en France, le gaz représente 16 % de la consommation d’énergie, deux cinquièmes des ménages se chauffent avec. La situation sera d’autant plus tendue que l’hiver sera froid. Le risque de coupures électriques est pris au sérieux. Les industries, mais aussi les particuliers pourraient faire l’objet de délestage. Politiquement, ce dossier sera sensible avec la tentation pour certains de remettre en cause les positions diplomatiques de la France et des États européens.

Crédit Photo : Markus Distelrath – Pexels

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