Corporate Rebels : 8 transformations pour libérer le travail

Rebelle. Le mot est lâché. Il rend compte des transformations qui s’opèrent dans le management depuis les années 90 et qui, effectivement, prennent à rebrousse-poil le management à l’ancienne, fait de paternalisme et d’autoritarisme. Tout l’intérêt de l’ouvrage de Joost Minnaar et Pim de Morree est de proposer une vision synthétique en huit points du management qui tend à s’imposer dans de plus en plus d’organisations et d’avoir rencontré celles et ceux qui en sont à l’origine.

1 – Passer du culte du profit à raison d’être et valeurs

Comment motiver ? C’est la question que se pose tout bon manager. Or le profit motive moins que le sens. Pourquoi « se défoncer » au travail ? Pour enrichir un patron et les actionnaires de l’entreprise. Les salariés ne s’y trompent plus. Ce qui leur donne envie de se lever le matin pour rejoindre leur poste, c’est la réponse qu’ils peuvent apporter à cette question : « quelle est ma contribution dans le monde ? » Se doter d’une raison d’être ambitieuse, le faire savoir et le traduire en véritable culture d’entreprise, agir réellement et non pas simplement communiquer sur cette raison d’être, voilà le chemin à suivre. À l’instar d’une entreprise comme Patagonia.

2 – De l’organisation pyramidale à des équipes en réseau

Les entreprises grossissent et les règles se multiplient. La bureaucratie gagne du terrain. De plus en plus de temps sur le lieu de travail devient improductif. La réunionite fait des ravages. Le souci de servir le client s’évapore. La société d’électroménager chinoise Haier a réussi dans les années 90 un développement significatif en rachetant des entreprises en difficulté et au management déficient. Progressivement, l’entreprise y introduit son modèle, le RenDanHeYi, qui vise à casser la bureaucratie pour lui substituer un mode de fonctionnement plus entrepreneurial. De mini-entreprises autonomes et interconnectées comportant 15 personnes environ sont créées. Elles sont autogérées par les salariés.

Ce modèle souple et adaptable est une réponse à l’incertitude de notre environnement socio-économique. Autre exemple : chez Handelsbanken, le siège ne contrôle pas, mais a une fonction de soutien aux agences, ce qui peut surprendre dans le secteur bancaire. Ce qu’il faut retenir, c’est l’idée que quand une entreprise dépasse les 30 salariés, elle commence à centraliser, à créer des fonctions support pour conserver l’illusion du contrôle. Pour résister à cela, la solution passe par le développement d’un écosystème de mini-entreprises.

3 – De l’autoritarisme à l’accompagnement

Aplatir la hiérarchie pour placer le manager non pas loin du terrain, en surplomb, mais parmi ses équipes… voilà la conséquence logique du point précédent. Trop de dirigeants restent dans leur tour d’ivoire au lieu de s’immerger pleinement dans le terrain, avec les équipes. Ce que Minnaar et Morree nomment « un leadership solidaire ». Ils identifient quatre « pratiques pionnières » pour passer du modèle autoritaire, « archaïque » à celui reposant sur la confiance.

  1. Dans la prise de décision, tenir compte du contexte et non du statut de celui qui propose une idée.
  2. Abolir les privilèges qui créent des frontières entre les personnes.
  3. Faire évaluer les managers par les managés.
  4. Un bon technicien ne faisant pas forcément un bon manager, proposer en fonction des profils des promotions avec du mentorat et du développement d’expertise.

4 – De la planification à l’expérimentation et l’adaptation

Les auteurs prennent l’exemple d’Irizar, une entreprise basque. Ce modèle de mini-entreprises lui a permis de maintenir une croissance annuelle de 24 % environ pendant 14 ans. Le secret du succès tient à une chose en particulier : l’expérimentation, l’adaptation, la liberté dont jouit chaque mini-entreprise. Si le mot « agilité » a été galvaudé et repris partout à mauvais escient, les auteurs lui préfèrent celui d’« auto-organisation ».

Chez Spotify, les équipes sont invitées à expérimenter et à faire des erreurs « plus vite que les autres ».

Créer un climat propice à l’échec, voilà une des clés : oser, faire, évaluer, apprendre, adapter. Pour une entreprise, cela signifie rompre avec le cycle budgétaire — autrement dit la planification – pour allouer les ressources à la demande, pour des objectifs à court et moyen terme qui donnent du sens au projet de l’entreprise.

Capturse
Joost Minnaar et Pim De Morree ont mené plus d’une centaine d’interviews pour identifier ces grandes transformations managériales de l’entreprise (Crédit : capture d’écran YouTube)

5 – Des règles et du contrôle à la liberté et la confiance

C’est le cœur de la culture d’entreprises comme Netflix. Mais ce n’est pas une entreprise de la Silicon Valley que nos auteurs prennent en exemple, mais la Sécurité Sociale en Belgique. Son patron franchement rebelle, Frank van Massenhove, l’a littéralement transformée. Son ambition : « créer un environnement dans lequel lui-même aurait envie d’être salarié, une atmosphère joyeuse où les employés de tous âges se sentiraient chez eux ». Si le but de Massenhove était de rendre les fonctionnaires heureux, ce sont les fonctionnaires qui ont imaginé le chemin pour y parvenir. Ceux-ci ont défini leur « avenir idéal », ce qui les dérange, les anime, ce qui les rendrait heureux. Cela a duré trois ans. Résultat : plus de bureaux fixes, mais des zones de travail et de réunion modulables. Chacun décide où il travaille… et quand il travaille. Plus d’obsession quant au temps de travail : ce qui compte, c’est le résultat… et l’intérêt des administrés.

6 – D’une autorité centralisée à une autorité distribuée

« Il y a un siècle centraliser les décisions avait du sens point cela permettait de coordonner les problématiques, d’informer correctement les dirigeants et de faire coïncider stratégie et décision point dans un monde stable et fixe, c’était pertinent. » Mais — cela ne vous aura pas échappé – le monde a changé. Aujourd’hui, certaines décisions ne peuvent souffrir de passer par une succession d’étapes de validation. Et la multiplication des validations ne garantit pas que la décision soit bonne. Là aussi, il faut desserrer l’étau de la hiérarchie en mettant les employés en tête de cordée. Il faut s’en remettre à « la sagesse des foules », c’est-à-dire au consensus qui naît d’un mode de prise de décision démocratique.

Cette manière de faire permet davantage d’éviter les mauvaises décisions que celle qui réside dans la prise de décision par un seul, en haut de la pyramide. Il importe d’être clair sur qui prend quelle décision et pour les décisions importantes, on demande conseil.

7 – De la culture du secret à la transparence radicale

Connaissez-vous le secret de l’engagement des collaborateurs ? Le secret, c’est « pas de secret ». Pas d’ignorance, de doute, de rumeurs… C’est là aussi une question de confiance. Plus la confiance est présente et plus les salariés sont engagés. La confiance naît de la transparence… qui n’est pas simplement l’accès de tous à l’information sur Google Drive ou Microsoft OneDrive (les objectifs, mais aussi le montant des salaires de tous les salariés de l’entreprise, les données comptables sensibles[1]…) dans l’entreprise, mais également dans les règles de gouvernance.

La transparence, cela peut consister à désigner démocratiquement son chef.

La transparence consiste réside également dans la gestion des conflits. Quand un désaccord émerge, on en parle simplement. S’il persiste, des médiateurs interviennent pour faciliter le processus. Si le conflit ne trouve toujours pas sa résolution, l’arbitrage final du PDG intervient. Mais c’est très rare.

8 – Des fiches de postes figées à l’exploitation des talents

L’inspiration, les auteurs la tirent de Buurtzorg, l’une des plus grosses entreprises de soins au Pays-Bas pourtant sans structuration hiérarchique. Pas de jargon managérial ni de plan d’action à élaborer et appliquer, mais des conseils aussi simples que « faites au plus simple ». Ce qui compte, c’est de laisser faire les gens et de les laisser révéler leur talent. Aujourd’hui, Buurtzorg, c’est 1000 équipes de soignants de 12 personnes au maximum qui s’autogèrent et qui sont incitées à découvrir leurs propres talents. « De nombreuses personnes ne réalisent jamais leur potentiel parce qu’elles sont limitées par leur fiche de poste, leur hiérarchie et parce que les départements sont refermés sur eux-mêmes ». Pour prendre conscience de son potentiel, des solutions existent : formations illimitées, choix de ses propres mentors, foire aux projets internes…


[1] Les auteurs soulignent l’importance de former les salariés à la lecture de documents économiques. L’important n’est pas simplement qu’ils y aient accès, mais qu’ils comprennent véritablement la réalité comptable de l’entreprise.

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