Semaine de 4 jours : l’idée fait son chemin

Le Coronavirus et les mesures de confinement bouleversent les pratiques et organisations de travail. Toutefois comme le pressent le président de la République, Emmanuel Macron, dans son discours du 16 mars, cette période troublée « nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions seront remise en cause. Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviendront ». La crise sanitaire passée, les dirigeants seront probablement amenés à transformer leur entreprise pour relever les défis de notre économie et être plus solides et résilients face aux chocs. Pour les inspirer dans leur réflexion, voici un article consacré à deux entreprises ayant adopté la semaine de 4 jours de travail sans que cela ne nuise à leur performance. Bien au contraire.

60 % des salariés français opteraient pour la semaine de 4 jours de travail si elle leur était proposée*. Le message est pour l’instant peu entendu par les employeurs. En France, pays où le présentéisme est très ancré dans la culture managériale, rares sont les entreprises ayant sauté le pas. « Il y a celles qui l’ont adoptée au milieu des années 1990, juste avant l’adoption des 35 heures et ne sont pas revenues dessus. Depuis, quelques entreprises en France, à compter sur les doigts des deux mains, ont tenté l’aventure. Une large majorité des dirigeants lient encore la performance au temps de travail, cela freine toute innovation en matière d’organisation du temps de travail. La crise du Coronavirus pourrait remettre en cause cette conviction » anticipe Isabelle Rey-Millet professeur de management à l’Essec et dirigeante du cabinet de conseil Ethikonsulting.

Une entreprise plus solide

Yprema, industrie spécialisée dans le recyclage de matériaux de construction, fait partie des entreprises pionnières. En 1997, avant la loi Aubry actant les 35 heures de travail hebdomadaire, Claude Prigent, le directeur général instaure la semaine de 4 jours de travail dans son entreprise. « Il était convaincu que cela allait dans le sens de l’histoire. Au siècle dernier, nous sommes passés de 48 heures de travail hebdomadaires à 42 puis à 39h et à 35 h », témoigne Susana Mendes, secrétaire générale de la société. A l’époque, il n’est pas le seul à avoir cette conviction. La réflexion est dans l’air du temps. Un an plus tôt, le 11 juin 1996, le député UDF (parti de centre droit) Gilles de Robien fait adopter sa proposition de loi sur l’aménagement du temps de travail. Les entreprises qui réduisent le temps de travail de leurs salariés bénéficient d’un allégement de cotisations pendant 7 ans, à condition qu’elles recrutent au moins 10 % de salariés supplémentaires en CDI. L’idée est de partager l’emploi : chacun travaille un peu moins pour que tout le monde ait un job.

L’économiste Pierre Larrouturou, spécialiste du temps de travail partagé, estime que 400 entreprises dont la Macif et Mamie Nova ont bénéficié du dispositif. Yprema en a profité pour embaucher des commerciaux. « Ils travaillent certes 4 jours, mais nous assurons un service client 5 jours sur 7 », explique la secrétaire générale. De même, l’entreprise reste ouverte toute la semaine, même si les salariés ne travaillent que 4 jours. « Pour maintenir notre niveau d’activité, nous avons formé nos salariés afin qu’ils soient capables d’assurer 4 postes différents par semaine. Ainsi quand un prend sa journée de repos, son collègue peut le remplacer », poursuit Susana Mendes. Les machines de leur côté travaillent plus qu’avant. En consacrant le vendredi après-midi aux travaux de maintenance préventive, l’industrie a réussi à réduire considérablement le nombre de pannes et les arrêts de production. Après plus d’un quart de siècle de pratique, Susana Mendes en est convaincue, Yprema est beaucoup plus solide qu’avant.

« Le travail s’étale de façon à occuper le temps disponible pour son achèvement » (loi de Parkinson)

Welcome to the Jungle, média et plateforme de recrutements, fait partie de ces rares entreprises à être passée récemment à la semaine de 4 jours. Elle a été adoptée officiellement en janvier dernier. « Au départ, c’est la réponse à une réflexion que nous avions ouverte avec Bertrand Uzeel (NDLR : l’autre cofondateur de l’entreprise) au début de l’année 2019. Nous cherchions un moyen permettant à nos salariés de mieux concilier leur vie personnelle et professionnelle. Avant de nous lancer définitivement, nous avons décidé de la tester pendant 6 mois, entre juin et décembre 2019 », explique le dirigeant du média, Jeremy Clédat. Les débuts sont laborieux. Le premier mois, la performance baisse de 20 %. Logique, les salariés travaillent 20 % de temps moins. « Au départ, chacun pouvait choisir comme il le souhaitait sa journée de repos, à l’exception du lundi. Résultat, cela prenait 3 semaines pour fixer une réunion réclamant la présence de trois personnes. On a donc décidé que seulement le mercredi ou le vendredi pouvaient être posés », relate-t-il.

D’autres mesures ont été prises. « Travailler moins vous oblige à être plus efficace. On ne peut perdre son temps en réunions inutiles ou à résoudre des problèmes de connexions informatiques. Le passage à la semaine de 4 jours a cet avantage : il fait ressortir en deux semaines tout un tas de dysfonctionnements que l’on identifie normalement au bout de 6 mois », ajoute-t-il. Le temps passé en réunion a ainsi été réduit de 30 %, les équipements informatiques ont été passés en revue et réparés, et au bout de 6 mois, Welcome to the Jungle a retrouvé le même niveau de performance d’avant 2019. Autrement dit, les salariés ont appris à faire en 4 jours, un travail qu’ils réalisaient auparavant en 5. « C’est l’illustration de la loi de Parkinson. Elle énonce que le travail s’étale de façon à occuper le temps disponible pour son achèvement”. Si on vous donne une heure pour réaliser une tâche, vous la ferez en une heure. Si on vous en donne trois, vous la ferez en trois » explique Isabelle Rey-Millet d’Ethikonculting. Plus efficaces, les collaborateurs de Welcome to the Jungle sont aussi plus épanouis. « Lors de la phase de test, nous avons sollicité les services d’un neuroscientifique. Nous avons observé que nos collaborateurs, en reprenant le contrôle de leur agenda, cela avait un effet bénéfique sur leur confiance et leur estime de soi », conclut Jérémy Clédat.


* Etude Workforce View in Europe de l’institut de recherche ADP (fournisseurs de services RH), réalisée auprès de 10 585 salariés européens dont 1410 Français, et publiée fin mai dernier.

Crédit photo : Can Stock Photo / tomwang

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