« Dans un monde multipolaire, une nouvelle éthique planétaire serait bienvenue »

De père turc et de mère danoise, mariée à un Français, Hesna Cailliau se consacre depuis des décennies, au gré de livres et de conférences, à une meilleure compréhension des cultures et des religions. Dans son nouvel essai, fruit d’une longue expérience, celle qui fut l’élève d’Edgar Morin met en évidence le lien indissociable entre religion, culture, mentalités et comportements.

Il n’y a pas de culture universelle, tout simplement par la diversité des langues. Car nous pensons au travers de la langue. La langue modèle notre pensée, à travers l’étymologie, le vocabulaire et les adages. Beaucoup de personnes parlent anglais, mais seuls 10 % de la population mondiale pensent dans cette langue ; l’anglosphère est donc loin d’imposer son mode de pensée à l’ensemble de l’humanité.

Dans un monde devenu un grand village, nous ne pouvons feindre d’ignorer les différentes traditions religieuses. La connaissance est le meilleur antidote au racisme et à l’intolérance. Toutes les religions connaissent ou ont connu des dérives, mais pour Hesna Caillau, nous devons élargir notre angle de vue et ne pas réduire les religions à leurs seules dérives. Il faut s’extraire des pensées sombres et des préjugés. Le pessimisme est un laisser-aller, selon le précepte de Bouddha. Toute religion a aussi une face positive qu’il faut savoir reconnaître, comprendre. « Dans un monde multipolaire, espère Hesna Cailliau, une nouvelle éthique planétaire serait bienvenue ».

Pour Hesna Cailliau, il est donc temps d’échanger nos sagesses. Il y a sept religions encore vivantes — judaïsme, christianisme, islam, hindouisme et le bouddhisme, taoïsme et confucianisme – qu’il s’agit de faire dialoguer. Chacune a un impact sur la manière dont leurs adeptes conçoivent leur rapport au temps, à la vérité, à la morale, à la vie, à la pensée, à la société, au travail. L’ouvrage d’Hesna Caillau explore ces différentes dimensions.

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Comprendre, c’est éclairer les signaux faibles

Que nous Hesna Cailliau, entre bien d’autres choses qu’on ne saurait résumer ici ? Que les Chinois considèrent l’Histoire comme un processus de transformation souterrain. Il faut être attentif aux signaux faibles. Comprendre, c’est éclairer les signaux faibles, à capter les signes annonciateurs. « Qui voit l’invisible est capable de l’impossible ». Certains doivent être cultivés, d’autres doivent être arrachés. Il faut prendre du temps pour observer, écouter, lire entre les lignes. Le pire défaut est d’avoir raison, car c’est s’enfermer dans son environnement et rester sourd à ses évolutions inéluctables.

« On ne tire pas sur les plantes pour les faire pousser plus vite », dit l’adage. Nous Occidentaux ignorons le temps de la maturation qui, pour un oriental, constitue l’attente du bon moment. Nous avons l’impression que rien ne se passe alors que des potentialités émergent. Il y a aussi le temps de la relation ; en Orient, on travaille avec des amis. La parole a plus de poids que les contrats. Il faut donc prendre le temps de construire la relation pour espérer faire des affaires et travailler ensemble.

Vivre l’instant présent, c’est saisir les opportunités. « Ce qui est clair n’est pas oriental ». La voie n’est jamais tracée d’avance, elle se trace au fur et à mesure du chemin. À chaque vent, un nouveau cap. Cela génère une autre idée de l’efficacité qui ne se traduit pas par un plan, mais par l’observation d’une situation ou d’un potentiel. « Les Chinois condamnent l’activisme en tant que déperdition inutile d’énergie. Le mal, dans l’optique chinoise, ne revêt aucune connotation morale ; il consiste à dilapider son énergie par les passions et les excès néfastes, ce qui abrège sa vie et empêche de vivre naturellement jusqu’à cent ans. L’important n’est pas de sauver son âme, mais de sauvegarder sa vitalité ».

On intervient en amont, sans attirer l’attention, sans bruit, sans lever les résistances. L’efficacité, c’est imposer son point de vue. L’efficience, c’est observer la tendance. Pas « ça passe ou ça casse », mais regarder où ça passe. Le sage est sans idées préconçues. Il ne prend pas de risques. « Qui s’efforce nuit à sa force ». L’Oriental n’est pas un lutteur, mais un surfeur, rapidité et lenteur conjuguées. « Le mode de pensée des musulmans est en fait proche de celui des hindous, des bouddhistes et des taoïstes : rien ne s’exclue, rien ne s’annule tout s’ajoute et s’additionne. »

Se décentrer et découvrir d’autres cultures permet aussi de mieux connaître la sienne propre, celle dont les valeurs semblent évidentes et rarement questionnées. S’intéresser aux autres cultures, c’est incidemment prendre conscience de l’extraordinaire richesse de notre culture gréco-romaine et judéo-chrétienne. Plus qu’un essai sur l’interculturalité, un véritable traité de sagesse. Revigorant.


Hesna Cailliau, Sept religions, une clé pour comprendre le monde, Privat, 2021.

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