Ghosting des candidats : de quoi est-ce le symptôme ?

Les candidats aujourd’hui sont particulièrement volatiles. De vrais fantômes. Cette évanescence désespère les recruteurs qui, en d’autres temps plus cléments, jouaient également aux fantômes.

Je ne sais pas si vous avez vécu cette expérience désagréable. Vous répondez à une offre d’emploi et vous êtes contacté quelques jours plus tard par un cabinet de recrutement. Vous êtes invité à un entretien, invitation à laquelle vous répondez positivement et plein d’espoirs. Vous vous y rendez. Le rendez-vous a souvent lieu à Paris. Or vous n’êtes pas Parisien. Vous engagez des frais et prenez votre journée pour honorer cet entretien… qui se passe plutôt bien. Vous rentrez chez vous et croisez les doigts.

Et puis plus rien.

Quelques semaines plus tard, sans nouvelles, vous cherchez à contacter le consultant qui vous a reçu… Sans succès malgré vos tentatives réitérées. L’individu semble trop occupé pour prendre votre appel. Et si par miracle ou sur un malentendu, vous réussissez à entrer en communication avec lui, surprise : il vous informe que le poste a été pourvu. Bien entendu, votre profil étant intéressant, il n’hésitera pas à vous recontacter si une autre opportunité se présente.

Retour de bâton

J’ai vécu plusieurs fois cette expérience et je suis loin d’être le seul. J’en garde une certaine amertume. Aujourd’hui, ce phénomène trouve un nom : « le ghosting ». Cet anglicisme est utilisé initialement pour décrire les situations où une partie met fin à une relation amoureuse de manière unilatérale et un peu cavalière, entre je-m’en-foutisme et lâcheté.

Le marché du travail, pour faire simple, est soumis à deux forces contraires : l’offre et la demande. D’un côté, des entreprises recherchent de la main-d’œuvre (des « talents » pour l’exprimer de façon plus « hype ») pour fabriquer un produit ou fournir un service ; de l’autre des individus recherchent du travail pour satisfaire des exigences souvent bassement alimentaires (coucou Maslow !). C’est relativement simple. Mais l’offre est rarement en adéquation avec la demande. De ce déséquilibre naît le pouvoir, celui de l’employeur et inversement celui du candidat.

Aujourd’hui, la roue tourne. Les rôles également : le ghosté est devenu le ghosteur et le ghosteur le ghosté.

Les consultants en recrutement s’émeuvent aujourd’hui du peu d’égard qui leur est témoigné par les candidats. Désormais, ce sont les candidats qui sont aux abonnés absents ou posent des lapins. Ce qui alarme particulièrement nos recruteurs, c’est la nouveauté suivante : si le ghosting a toujours plus ou moins existé sur des postes précaires à faible qualification, il est aujourd’hui l’apanage de la population cadre.

Pas de cause unique

De quoi le ghosting est-il le symptôme ? Bien sûr – nous venons de le dire — d’un déséquilibre sur le marché du travail qui donne aujourd’hui l’embarras du choix aux candidats. Pourtant, ce bras d’honneur gentiment adressé aux recruteurs trouve une autre explication.

Depuis des années, nous assistons un retrait du travail, comme le souligne le sociologue François Dupuy. Ce désengagement tient au fait que l’entreprise ne tient plus la promesse tacite conclue pendant les 30 Glorieuses : protection contre loyauté. L’entreprise protège le salarié ; en retour le salarié est loyal envers l’entreprise.

À la fin des années 70, le néolibéralisme et l’ouverture à la mondialisation viennent rebattre les cartes. Pour répondre aux défis posés par la concurrence accrue et la maximalisation des profits pour les actionnaires, il faut faire plus (pardon, mieux) avec moins. Les ressources humaines deviennent une variable d’ajustement. Le deal protection/loyauté est rompu par l’employeur. Le management qui en découle s’avère plus coercitif, obsédé par le contrôle. S’ajoutent à cela les fermetures d’usines et la menace du chômage, l’optimisation des coûts et la chasse aux temps-morts… Autant de raisons qui expliquent les vagues d’épuisement professionnel et de désengagement qui pourrissent la vie des organisations et de ceux qui les composent.

Mettre fin au surcontrôle

Les travailleurs aujourd’hui sont moins naïfs qu’ils ne l’ont été. Les jeunes qui entrent sur le marché de travail, témoins de ce qu’ont vécu leurs parents, ne se font quant à eux aucune illusion sur la réalité du travail. Nous n’assistons donc pas à une disparition de la valeur travail, mais à un changement d’attitude en réaction à ce qu’est devenu le travail.

Pour espérer un changement d’attitude inverse et réintéresser les individus aux projets portés par les entreprises, il faut agir sur les conditions de travail via un nouveau style de management permettant aux salariés de retrouver une forme de protection, matérielle bien sûr, mais surtout morale. Autant vous dire que cela ne se fera pas du jour au lendemain.

Mais par où commencer ? Peut-être en levant ces barrières que représentent les normes, le reporting, les validations.

L’importance excessive accordée au surcontrôle plombe le moral des salariés et, par ricochet, la performance de l’entreprise. Pour que les salariés retrouvent confiance en l’entreprise, c’est sur ce levier qu’il faut appuyer en priorité. De nombreuses entreprises pionnières l’ont déjà compris.


Crédit Photo : Can Stock Photo – everin

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