Biaise-moi (10) : à quoi bon s’assurer contre le risque ?

C’est en commençant par un exemple tiré du travail des statisticiens Howard Wainer et Harris Zwerling, que Daniel Kahneman entend nous faire comprendre à quel point nous évaluons mal le risque, ou plutôt comment nous en avons une mauvaise représentation. Et lui — le chercheur en psychologie sociale – ne fait pas exception. C’est dire si cette tendance est puissance chez l’humain.

Cette étude porte sur la répartition des cancers du rein dans les 3141 comtés que comptent les États-Unis. Elle révèle que les cas de cancers sont plus faibles dans les comtés ruraux, peu peuplés, et dans des États républicains.

Très rapidement, vous déduisez de la phrase précédente que la vie saine de la campagne a une incidence sur la fréquence des cancers du rein. Le bon air, les produits sains de la ferme y sont sans doute pour quelque chose. Tout aussi rapidement, vous éliminez l’hypothèse que le fait d’habiter dans un État républicain réduit les risques de développer un cancer du rein.

La loi des petits nombres

En fait, si nous portons notre attention sur les comtés dans lesquels le taux de cancer et le plus important, nous observons qu’il s’agit de comtés ruraux, eux aussi traditionnellement républicains.

Comment expliquer cela ? Assez facilement avec la loi des petits nombres. En fait, la réponse est assez simple. Plus l’échantillon est petit, plus nous pouvons trouver des éléments saillants. Si on raisonne à l’échelle d’un comté peu peuplé, on peut être significativement moins touché par le cancer du rein ou toute autre maladie. Comme à l’inverse on peut l’être beaucoup plus.

La taille de l’échantillon est donc déterminante quand on cherche à faire une étude et valider une hypothèse : plus cette taille est réduite, plus on a de chance de basculer vers les extrêmes.

Daniel Kahneman prend un autre exemple. A l’échelle de la population du pays, il est vrai qu’à six ans, les filles ont un vocabulaire plus riche en moyenne que celui des garçons. Mais au hasard d’un tirage sur un échantillon plus réduit, il peut arriver de ne rien pouvoir déduire de significatif et même prouver l’hypothèse contraire, à savoir qu’à six ans, les garçons ont un vocabulaire plus riche que celui des filles. La robustesse d’une hypothèse ne peut être obtenue qu’à partir d’une certaine taille d’échantillon.

Tout cela est facilement compréhensible et je ne vous apprends rien. C’est le principe sur lequel repose le métier d’assureur. On comprend aisément qu’une société d’assurances qui assure un million de voitures peut facilement calculer un taux d’accident annuel moyen et calculer ses primes en conséquence. En appliquant la loi des grands nombres, l’assureur peut ainsi prévoir le risque. En revanche, pour l’assuré, c’est impossible.

De sévères désillusions

C’est à ce moment que les mathématiques laissent place à la psychologie. Car l’assuré peut alors se demander pourquoi encore payer des cotisations alors que depuis X années, il n’a été victime ou à l’origine d’aucun sinistre. Voilà la dangereuse logique qui amène de nombreux Américains à résilier leurs contrats d’assurance.

Voilà également la logique qui peut amener certains responsables politiques à ne pas renouveler leurs stocks de masques parce que le risque d’épidémie semble hautement improbable.

Evidemment, ce n’est pas parce qu’il ne se passe rien qu’il ne se passera rien. Nous nous fions à la fameuse « loi des séries », loi qui n’en n’est pas une et qui repose sur le principe de l’induction, c’est-à-dire de l’habitude. Principe dont il faut absolument se méfier, car, un jour, le réel peut se rappeler à notre bon souvenir et nous infliger de sévères désillusions.


Crédit Photo : Andrea Piacquadio – Pexels

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