Crise : les ménages mis à contribution

Après la crise de la Covid et avec la guerre en Ukraine, les ménages des pays de l’OCDE subissent à la fois un recul des salaires réels et une taxation inflationniste importante portant sur les encaisses monétaires et sur la détention d’obligations, puisque les taux d’intérêt nominaux restent très faibles.

Depuis le milieu de l’année 2021, les agents économiques sont confrontés au doublement du prix du baril de pétrole et à la multiplication par plus de trois de celui du gaz. Les prix des métaux ont connu une hausse de 80 % quand ceux des produits agricoles doublaient. La crise ukrainienne a amplifié le mouvement de hausse et en a accru la durée.

La soudaineté de l’inflation et sa puissance se sont traduites par une diminution des salaires réels : probablement d’environ 3,5 points pour l’ensemble de l’OCDE, 4,5 points dans la zone euro et 2,5 points en France.

Les acteurs économiques supportent également une taxe inflationniste sur leurs liquidités qui ne sont pas rémunérées. Cette taxe inflationniste appelée également seigneuriage est d’autant plus importante que, depuis le début de la crise sanitaire, les acteurs économiques ont accru leurs liquidités. L’encours des dépôts à vue des ménages dépasse les 500 milliards d’euros. Sur l’ensemble des agents économiques, cette taxe sur les liquidités pourrait atteindre de 3 à 5 % du PIB. À ce coût, il faut ajouter la perte subie sur les produits de taux (livrets d’épargne, obligations, fonds euros d’assurance vie) dont le rendement réel est négatif de 3 à 5 % au sein de l’OCDE. La perte est évaluée entre 3 et 5 % du PIB.

En cumulant la perte possible de pouvoir d’achat et la taxation inflationniste des encaisses monétaires et des encours d’obligations, la charge supportée par les ménages pourrait être de 14,6 points de PIB pour l’OCDE, de 12,8 points de PIB pour la zone euro et de plus de 7,0 points de PIB pour la France. L’inflation provoque un transfert de richesses important dont pourrait profiter l’État pour réduire son endettement.

Le coût total de la crise ukrainienne sera dilué dans le temps notamment en raison des compensations instaurées en faveur des ménages et des entreprises. La taxe inflationniste n’en sera pas moins forte. Elle pourrait modifier en profondeur l’économie et conduire à des ajustements sur certains marchés. Le secteur de l’automobile qui est déjà touché par la pénurie de microprocesseurs est confronté à une nouvelle déconvenue avec la hausse du pétrole. Ce secteur apparaît tout à la fois comme la victime de la crise sanitaire et de la crise ukrainienne. Le marché immobilier devrait souffrir de la baisse du pouvoir d’achat des ménages et la hausse des taux d’intérêt. La pénurie structurelle de logements pourrait néanmoins empêcher une forte baisse des prix.

Pétrole, gaz, un grand chamboulement géopolitique en vue ?

La Russie dépend de la rente pétrolière au même titre que les pays du Moyen-Orient. L’énergie et les matières premières sont au cœur du système économique russe. Ces vingt dernières années, elles ont fourni plus de 4 000 milliards de dollars de recettes d’exportation. Cette rente finance le train de vie de nombreux oligarques et les prestations sociales dont bénéficie une grande partie de la population.

Les sanctions et les menaces d’embargos frappent en premier lieu l’Europe qui, à défaut de trouver de nouveaux fournisseurs, pourrait subir des pénuries inédites d’énergie d’ici l’automne prochain. Les dernières datent de 1973 quand l’OPEP avait décidé de fermer les robinets de pétrole aux États qui soutenaient Israël. Dans les prochains mois, le marché du pétrole et du gaz sera tendu. L’endommagement en Asie centrale d’un oléoduc par une tempête et l’attaque par des rebelles houthis soutenus par l’Iran de plusieurs installations énergétiques saoudiennes ont provoqué une hausse de plus de 10 % des cours à la fin du mois de mars. Tous les gouvernements cherchent du pétrole et du gaz et en oublient les impératifs de la transition énergétique. Les Occidentaux font pression sur Saudi Aramco, la plus grande compagnie pétrolière du monde afin qu’elle augmente sa production. Elle est censée à cet effet d’accroître ses investissements à 40-50 milliards de dollars par an. L’administration Biden a même tenté d’amadouer Nicolás Maduro, le Président vénézuélien, pour que le pays de ce dernier réinvestisse le marché du pétrole. Le Venezuela qui détiendrait les plus grandes réserves de pétrole non exploitées était, en 2005, à l’origine de près de 5 % des exportations mondiales de pétrole avant d’être soumis à des embargos

Dans le schéma actuel, l’Union européenne espère être indépendante de la Russie d’ici 2030, ce qui suppose le doublement de la production des énergies renouvelables ainsi qu’un recours à de nouvelles sources de gaz et de pétrole. Le nucléaire qui après Fukushima avait été banni retrouve quelques intérêts tant comme moyen de décarbonation de la production d’énergie qu’au nom de l’indépendance économique. La France prévoit de construire six nouvelles centrales. Le 21 mars dernier, la Grande-Bretagne a annoncé qu’elle construirait une nouvelle génération de réacteurs.

Les rapports de force géopolitiques pourraient donc accélérer la transition énergétique. Celle-ci pourrait néanmoins entraîner de nouvelles dépendances. Au niveau mondial, dix Etats assurent plus de 75 % des exportations des métaux verts tels que le cuivre et le lithium indispensables pour les énergies renouvelables.

Du fait de l’épuisement de certains gisements de pétrole ou de gaz en Occident et de l’arrêt de l’investissement des entreprises européennes ou américaines dans ce secteur, la part de marché de l’OPEP et de la Russie passera de 45 % à 57 % d’ici 2040. Les États africains producteurs de pétrole qui dépendent des investissements occidentaux pour leurs infrastructures pourraient enregistrer de fortes baisses de production avec des risques politiques et sociaux à la clef. A contrario, des États dotés de fortes ressources en métaux verts devraient bénéficier d’une nouvelle rente. D’ici 2040, ce marché pourrait s’accroître de 1 000 milliards de dollars. Pour le Congo, la Guinée ou la Mongolie, l’afflux pourrait modifier en profondeur leur économie. Ces pays devraient créer des fonds souverains pour gérer leur nouvelle rente. Un code international pourrait être institué afin de garantir des relations équilibrées entre producteurs et consommateurs.

Quoi qu’il en soit, l’augmentation des prix devrait conduire à d’importants investissements et à une prospection assidue au sein de nouveaux pays. Au Pakistan, une entreprise canadienne, Barrick, a décidé d’investir 10 milliards de dollars dans une mine de cuivre au Pakistan. Tesla, qui utilise de nombreux minéraux pour fabriquer des voitures électriques, développe de nouveaux modèles de batteries. Cette société a conclu un accord d’approvisionnement avec la Nouvelle-Calédonie qui possède un dixième des réserves mondiales de nickel. Pour réduire la dépendance au gaz et au pétrole, des innovations sont prévisibles. De nouveaux types de petits réacteurs nucléaires sont ainsi prévus. La filière hydrogène devrait également bénéficier d’investissements supplémentaires.


Crédit Photo : iStock – Pixabay

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