Réindustrialisation : changer d’état d’esprit

Avant même la crise sanitaire, la réindustrialisation était avancée afin de réduire la dépendance aux pays émergents, créer des emplois qualifiés et rééquilibrer les comptes extérieurs. Sorti renforcé de l’épidémie, ce souhait est également alimenté par la perspective de la transition énergétique.

Les États occidentaux soutiennent des filières industrielles nouvelles et baissent certains impôts de production pour limiter les risques de délocalisation. Si un cadre fiscal et un soutien budgétaire peuvent favoriser le développement industriel, il n’en demeure pas moins que celui-ci ne peut pas prendre forme sans un redressement de ces compétences scientifiques, ce qui peut prendre de nombreuses années.

La désindustrialisation, une tendance de fond

Ces vingt dernières années, à l’exception de l’Allemagne et de la Corée du Sud, tous les pays occidentaux ont dû faire face à une diminution du poids de leur industrie. Au sein du PIB, la valeur ajoutée manufacturière est ainsi passée de 12 à 8 % pour le Royaume-Uni, de 12 à 9 % pour la France, de 14 à 12 % aux États-Unis, de 16 à 15 % pour l’Italie. L’Allemagne, a contrario, a vu le poids de son industrie passer de 18,5 à 20 % du PIB sur la même période.

Avec la crise sanitaire, de nombreuses productions sont apparues comme stratégiques (médicaments, matériel médical, etc.). Si dans les années 2000, la question de l’emploi était placée au cœur du processus de réindustrialisation, avec l’épidémie de covid-19, c’est celle de l’indépendance qui prédomine. Ce souverainisme économique peut s’assimiler à un protectionnisme à peine déguisé. Quels sont ces contours et quelles en seront les conséquences ?

Tout est souverain ou presque. Qui aurait pu affirmer avant la crise sanitaire que la production de masques était stratégique ? Qu’en sera-t-il demain ?

Il est admis aujourd’hui que les batteries le sont tout comme les biens d’équipement nécessaires pour la transition énergétique. À ce rythme, la liste des productions sensibles risque d’être longue. Renationaliser tous les process reviendrait à remettre en cause plus de soixante-dix ans de libéralisation des échanges qui ont contribué à l’essor des pays occidentaux et au décollage de nombreux pays en voie de développement. L’autarcie symbolisée, dans l’entre-deux-guerres, par les régimes nazi et mussolinien est une source de conflits et d’appauvrissement. C’est une remise en cause de la théorie des avantages comparatifs en vertu de laquelle les économies tirent avantage à se spécialiser dans les domaines où elles sont les moins mauvaises. Certes, au nom de ce principe, il n’est pas interdit de rechercher des avantages comparatifs en jouant sur la formation, l’innovation, les infrastructures ou la fiscalité ; en revanche, essayer de tout produire n’a pas de sens sauf à vouloir s’inspirer de la Corée du Nord.

Le poids des mathématiques

Depuis deux ans, les États soutiennent de plus en plus les filières industrielles en lien avec la santé et la transition énergétique (batteries électriques, hydrogène, vaccins et médicaments, semi-conducteurs). Dans les années 2000, la tendance était à la diminution de l’impôt sur les bénéfices ; désormais, le temps est à la baisse des impôts de production et des cotisations sociales. Au sein de l’OCDE, la France se caractérise par le niveau des cotisations sociales et des impôts de production élevé et par le faible poids de son industrie.

La question fiscale n’est qu’un aspect du problème. La formation des actifs jouerait un rôle déterminant dans le maintien et le développement de l’industrie. Une forte corrélation existe entre les compétences scientifiques des enfants ou des adultes et le poids de l’industrie. Selon l’enquête TIMMSS en sciences pour les élèves de 4e, la France obtient un des plus faibles scores au sein des grands pays de l’OCDE (490) quand le Japon obtient plus de 560, la Finlande, 550 ou la Suède 530. Tous les pays qui ont un niveau plus élevé que la France dans cette enquête se caractérisent par un poids supérieur de leur industrie au sein du PIB. En retenant l’enquête PIAAC en numératie (enquête sur les compétences pour les mathématiques des adultes de l’OCDE), le même constat est réalisé. La baisse du nombre d’élèves suivant un enseignement en mathématiques dans le secondaire provoque une diminution du niveau et des pénuries d’étudiants pour les écoles d’ingénieurs et pour celles de commerce. Des classes préparatoires devraient être amenées à fermer dans les prochaines années s’il n’y a pas d’inversion de la tendance. Cette situation a conduit le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, à annoncer, le 17 février dernier, la création d’un comité d’experts dont l’objectif est de proposer des pistes d’amélioration de l’offre d’enseignement de mathématiques en lycée général.

Selon l’économiste en chef de Natixis, Patrick Artus, le facteur « formation » est déterminant pour espérer une réindustrialisation. Le manque d’ingénieurs et de techniciens n’incite pas les entreprises industrielles à investir en France. Cette réindustrialisation bute également sur l’hostilité des populations et des élus locaux en cas de projets d’implantation d’usines. Les industriels éprouvent des difficultés à trouver des terrains disponibles, les élus craignant les nuisances (sonores, pollution, etc.). Un changement d’état d’esprit face à l’industrie suppose en amont un travail de pédagogie important de la part des pouvoirs publics et des filières concernées.


Crédit Photo : Kateryna Babaieva – Pexels

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