Après la Présidentielle, 7 questions brûlantes

Les campagnes présidentielles ne sont pas propices au réalisme. Elles donnent lieu à une surenchère en matière de promesses en tout genre. Dans le passé, les candidats ayant joué les cassandres ont été éliminés, souvent dès le premier tour. Pouvons-nous imaginer un candidat qui oserait affirmer qu’il n’augmentera les prestations sociales qu’une fois les comptes publics assainis et les augmentations de salaire assurées par les gains de productivité eux-mêmes rendus possibles par l’élévation des compétences des actifs ? Comment les électeurs jugeraient-ils un candidat osant dire que la transition énergétique pourrait amputer de 30 à 40 % le pouvoir d’achat des ménages ?

Sept sujets sont particulièrement difficiles à aborder de manière rationnelle en France : les retraites, le financement de la dépendance, l’évolution des salaires, la réduction des inégalités, l’accès au logement, le coût de la transition énergétique et l’assainissement des comptes publics.

1 – Les retraites

Les lois de la démographie sont intangibles. Avec l’allongement de l’espérance de vie, avec la réplique du baby-boom soixante ans plus tard sous la forme d’un papy-boom, la question des retraites s’impose à nous au moins jusque dans les années 2040. Le nombre de retraités qui était de 5 millions en 1981 est passé à 17 millions en 2019 et devrait atteindre, au milieu du siècle, plus de 23 millions. Grâce au développement de l’assurance vieillesse, le niveau de vie des retraités s’est considérablement amélioré depuis le début des années 1970, la preuve étant le nombre de personnes recevant le minimum vieillesse, passé de 2 millions en 1972 à 600 000 en 2022 quand, sur la même période, le nombre de retraités a été multiplié par plus de trois. Le niveau de vie des retraités est, aujourd’hui, supérieur à celui de la moyenne de la population.

Par ailleurs, la France se place en tête de tous les pays de l’OCDE pour la durée de vie en retraite. Ce résultat est la conséquence d’un âge effectif à la retraite parmi les plus bas et d’une espérance de vie figurant parmi les meilleures.

La France est, avec l’Italie, le pays dont l’effort en faveur des retraites est le plus élevé, environ 14 % du PIB, soit trois points de plus que la moyenne de la zone euro (hors France). Les réformes engagées depuis 1993 ont permis de réduire les dépenses de retraite de près de 6 points de PIB à l’horizon 2030. Ces réformes ont utilisé de multiples curseurs : durée de cotisation, âge légal, modalités d’indexation, introduction d’un bonus/malus, etc.

Le passage de 17 à 23 millions de retraités dans les vingt prochaines années suppose des arbitrages. L’augmentation des cotisations ou des impôts aboutit à accroître les charges pesant sur les actifs et pourrait nuire à la compétitivité du pays. La France se caractérise déjà par un niveau élevé de prélèvements obligatoires. Il serait possible de diminuer les pensions en continuant à jouer sur l’indexation. Cette pratique indolore peut avoir à terme de lourdes conséquences sociales. Le recul de l’âge légal ou l’allongement de la durée de cotisation constituent l’autre voie possible. Le report de l’âge légal de 62 à 64 ou 65 ans a un effet direct, près de 10 milliards d’euros. L’allongement de la durée de cotisation a une rentabilité moindre. Cette durée atteindra 43 ans pour la génération 1973. L’objectif des pouvoirs publics en jouant sur l’âge de départ est de réduire le montant des dépenses de retraite et d’améliorer le montant des recettes grâce à une amélioration du taux d’emploi des personnes de plus de 60 ans. Le taux d’emploi des 60/64 ans était, en 2021, de 38 % en France, contre 55 % aux États-Unis et 62 % en Allemagne. Un report de l’âge légal suppose de traiter le problème de la pénibilité et de l’adéquation de l’offre de travail pour les actifs âgés. La question des retraites pose le problème des priorités en matière de dépenses publiques et des limites de la solidarité intergénérationnelle.

2 – La dépendance

Le nombre de personnes âgées dépendantes sera multiplié par deux d’ici le milieu du siècle, passant de 2 à 4 millions. La dépendance est en premier lieu une question d’ordre sanitaire (santé et soins) doublée d’une problématique d’hébergement. Actuellement, le coût réel de la dépendance est en partie masqué, grâce au soutien de plus de 800 000 aidants familiaux. Avec l’allongement de l’espérance de vie, l’augmentation du taux d’activité des femmes, la déstructuration des familles, le nombre des aidants familiaux pourrait baisser dans les prochaines années. Les prises en charge des personnes dépendantes pourraient coûter plus cher en raison de multi-pathologies liées aux très grands âges. Comme pour les retraites, faut-il accroître les cotisations ou les impôts sur l’ensemble de la population pour financer la dépendance, demander aux retraités de financer leur dépendance ou panacher les deux systèmes ? Faut-il mobiliser le patrimoine des seniors qui détiennent plus de la moitié du patrimoine national ? Quel est le rôle de l’assistance et de l’assurance en matière de dépendance ? Les réponses à ces questions clefs sont reportées d’année en année.

3 – Les salaires

Les Français estiment que leurs salaires sont faibles et qu’ils augmentent peu. Les pouvoirs publics ont allégé les cotisations sociales sur les bas salaires et instauré des primes d’activité pour faciliter la création d’emplois pour les personnes non qualifiées et pour encourager leur retour sur le marché du travail. Ces mesures ont abouti à une socialisation d’une partie de la rémunération des actifs. Ce sont les prélèvements obligatoires qui suppléent les entreprises. Cette politique n’est pas sans limites. Avec l’inflation, avec la nécessité d’améliorer les conditions de vie des ménages les plus modestes, la question salariale est revenue au cœur du débat public. La baisse du chômage permet d’espérer un rapport de force plus favorable aux salariés. Il convient pour autant de souligner que, ces vingt dernières années, le partage de la valeur ajoutée en France ne s’est pas effectué au détriment des salariés. Une hausse générale des salaires ne serait possible qu’en cas de progression rapide de la productivité. Celle-ci suppose l’amélioration de la qualité des emplois avec, en particulier, le redressement de l’emploi industriel. De 2002 à 2021, l’emploi industriel a diminué de 23 % en France. L’amélioration des compétences constitue un préalable à une augmentation globale des salaires. La France se classe très loin pour les compétences des actifs et le niveau de formation des jeunes au sein des enquêtes PISA et PIAAC de l’OCDE.

4 – La réduction des inégalités

Les Français sont très sensibles aux inégalités sociales. À la différence de nombreux autres pays de l’OCDE, les inégalités sociales après redistribution n’ont pas augmenté lors de ces vingt dernières années. En revanche, avant redistribution, la France figure parmi les États à forte inégalité. Les pouvoirs publics ont pris en charge une grande partie des coûts sociaux liés à la polarisation de l’emploi en multipliant les aides sociales. Cette solution est-elle viable sur longue période ? Ne faudrait-il pas améliorer le taux d’emploi et réduire le nombre de jeunes sans-emploi et sans formation ? En 2021, le taux d’emploi en France était de 67 %, contre 72 % aux États-Unis et de 77 % en Allemagne. Il y a un lien direct entre le taux d’emploi et le niveau des inégalités avant redistribution. Pour maîtriser les dépenses publiques, un redressement du taux d’emploi apparaît nécessaire et passe une fois de plus par une amélioration du niveau de formation des actifs.

5 – L’immobilier

La hausse forte des prix de l’immobilier en France est à l’origine d’un problème social croissant avec la hausse induite par le coût du logement. Les 20 % de Français les plus modestes consacrent, en moyenne, 22 % de leur revenu au logement. Ce taux peut atteindre 40 % pour les locataires du secteur privé. Depuis 2022, le prix des logements a été multiplié par 2,5. Pour tenter de limiter les tensions, les pouvoirs publics ont pris des mesures artificielles comme l’encadrement des loyers. Les aides personnalisées au logement visent à solvabiliser la demande, mais aboutissent dans les faits, dans un contexte d’offre réduite, à l’augmentation des loyers. Sans supplément de construction, les prix des logements ne pourront pas diminuer. Les pouvoirs publics doivent donc accepter de libérer du foncier. Les mises en chantier de logements demeurent insuffisantes en France, soit moins de 400 000 par an quand les besoins dépassent 500 000.

6 – La transition énergétique

En raison de l’intermittence de leur production, les énergies renouvelables nécessitent la construction d’équipements de production d’énergie redondants et des infrastructures de stockage. En l’état actuel de la technologie, l’énergie renouvelable coûte plus cher que les énergies fossiles. L’augmentation des prix de l’énergie devrait peser sur le pouvoir d’achat des ménages en particulier les plus modestes. Avant compensation par l’État, la perte de pouvoir d’achat pour le premier vingtile pourrait se situer autour de 30 % d’ici 2050. Depuis 2002, les prix de l’énergie ont déjà augmenté de plus de 60 %. Le coût des voitures électriques est plus élevé de 30 à 40 % par rapport à celles à moteur thermique. De nombreux ménages ne pourront pas en acquérir sans disposer d’aide. Cette situation devrait accentuer la concentration de la population au sein des grandes métropoles à proximité d’axes de transports publics. Cette concentration aura comme conséquence une augmentation du prix des logements.

7 – Les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires

La France se caractérise par un des niveaux les plus élevés au monde pour les dépenses publiques, près de 59 % du PIB en 2021 et 45 % du PIB pour les prélèvements obligatoires, laissant peu de marges de manœuvre aux pouvoirs publics d’autant moins que la dette publique représente 113 % du PIB. En France, l’idée que l’intendance suivra est largement partagée. La crise sanitaire a donné l’impression qu’il n’y avait pas de limite à la progression des dépenses. Pour autant, le retour à des conditions normales suppose également la fin des politiques monétaires et budgétaires extraordinaires.

Dans le passé, aucun pays n’a pu s’affranchir indéfiniment des règles comptables. Tôt ou tard, par un moyen ou un autre, le défi des économies à réaliser s’imposera. 

La France devra sans nul doute régler dans les cinq années à venir tout ou partie des questions liées à l’énergie, au logement, à la retraite, à la dépendance, aux finances publiques, aux inégalités sociales et aux salaires. Il faudrait ajouter à cette longue liste l’éducation et la santé. Les solutions à apporter sont complexes et multiples.

Crédit Photo : Can Stock Photo – Niyazz

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